Le Brésil défie l’Argentine ce vendredi (18h) dans un match amical de prestige. Mais comme en octobre 2018, ce duel entre les deux grands rivaux du football sud-américain risque de manquer de saveur. Et pour cause, la rencontre se jouera en Arabie Saoudite à Riyad. Sans Neymar, la Seleçao tentera de l’emporter face à l’Albiceleste de Lionel Messi. Plus important que le résultat, cet affrontement entre stars auriverde et argentines confirmera la récente prise de position de l’Arabie Saoudite dans le sport.

Le football permet à l’Arabie Saoudite une entrée par la grande porte dans le sport mondial. Jusque-là, le pays du Golfe persique restait assez peu impliqué sur le plan du soft-power en restant concentré sur la gestion de sa rente pétrolière. C’est fini et le royaume saoudien se lance à l’assaut du football, de Paris-Dakar, du cyclisme et même de la boxe et du catch.

Une manne financière « hors-marché »

Et pour rafler la mise et organiser un si grand nombre d’événements sportifs de renom, le royaume saoudien consent à de gros investissements. A grands coups de millions, l’Arabie Saoudite parvient à convaincre les sportifs et autres décideurs du sport mondial de bouleverser leurs plans pour délocaliser les compétitions.

« La première raison qui conduit les sportifs et les organisateurs d’événements sportifs à aller en Arabie Saoudite c’est la capacité financière de l’Etat saoudien, explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport auprès de RMC Sport. C’est l’argent et la possibilité d’y développer du business aussi bien pour ceux qui veulent créer un événement, qui désirent valoriser des droits. »

La joie des Turinois lors de la Supercoupe d'Italie en Arabie Saoudite Icon Sport – La joie des Turinois lors de la Supercoupe d’Italie en Arabie Saoudite

Dans le cadre de la Supercoupe d’Italie au début de l’année 2019, l’Arabie Saoudite a déboursé entre 20 et 25 millions d’euros pour accueillir le duel entre la Juventus de Cristiano Ronaldo et l’AC Milan. Mais cette année, le pays du Golfe est allé encore plus loin pour s’offrir la Supercoupe d’Espagne. Selon les montants évoqués, il en aurait ainsi coûté près de 100 millions d’euros pour être choisi comme hôte par la Liga. Son partenariat avec ASO pour le Tour d’Arabie Saoudite vient également de cette logique agressive, avec la création d’un spectacle sportif ex-nihilo.

« Systématiquement les montants sont hors-marché, c’est-à-dire largement supérieurs à la valorisation habituelle, avance encore celui qui vient de publier un ouvrage pour les 50 ans du PSG aux éditions Hugo Sport. L’Arabie Saoudite fait un all-in sur tous les événements sportifs. Dès qu’un droit est disponible, elle postule et explose les tarifs. » Mais pour l’Arabie Saoudite, l’éventualité d’abriter un Clasico entre le Real Madrid et le Barça, cela n’a pas de prix.

Redorer le blason du régime

A l’image du Qatar ou des Emirats arabes unis, le régime saoudien compte sur la diplomatie du sport pour s’offrir une nouvelle image auprès de la communauté internationale. La volonté de développer ses relations avec les grandes puissances est similaire à celle mise en place par ses voisins (et concurrents) producteurs d’hydrocarbures. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite tente de rattraper son retard face à ses rivaux du Golfe.

« On est typiquement dans un cas de sport-washing, poursuit Jean-Baptiste Guégan. On va se servir du sport pour moderniser l’image voire même la reconstruire complètement. Le sport sert de levier de développement. A tout point de vue, le développement du Royaume, son unité et sa modernisation, passent par là. »

La famille royale entend aussi utiliser le sport pour moderniser son image auprès de ses citoyens. Avec le sport, la dynastie des Saoud s’offre une once de modernité ainsi que le développement économique du pays grâce aux activités sportives et touristiques. « Le pays veut aller chercher une nouvelle clientèle de touristes et d’investisseurs car il y a une forte croissance démographique et des perspectives limitées pour le gaz et le pétrole à l’horizon du siècle à venir, analyse encore le spécialiste de la géopolitique sportive. Cela s’associe au projet de développement NEOM (environ 500 milliards de dollars pour bâtir une ville futuriste, ndlr) un projet pharaonique. » 

Un troisième élément sanitaire est à prendre en compte. Dans un pays où les trajets en voiture supplantent largement la marche et la pratique sportive, le fait d’accueillir de grands matchs de foot ou des combats de boxe comme la revanche entre Andy Ruiz et Anthony Joshua (le 7 décembre prochain sur RMC Sport 1) compte. La volonté de présenter l’Arabie Saoudite comme une grande puissance culturelle, et pas seulement comme le pays des lieux saint de l’Islam, revêt aussi une importance capitale pour le pouvoir local. 

Et les Droits de l’Homme dans tout ça?

L’ambition récente de l’Arabie Saoudite de devenir un acteur majeur du sport s’accompagne également d’un certain nombre de polémiques. Certains regrettent déjà, comme c’est le cas pour les matchs amicaux entre le Brésil et l’Argentine, de voir certaines équipes céder face à l’attrait d’un gros chèque. Mais la plus grosse problématique à laquelle doit faire face le régime saoudien est d’abord liée à la question des Droits de l’Homme. « Cela serait quand même très drôle de voir une équipe comme le Barça, avec ses valeurs, en Arabie Saoudite, précise Jean-Baptiste Guégan. Clairement, le business l’emporte sur les préoccupations éthiques et sur tout approche respectueuse des Droits de l’Homme. »

Rares sont les réactions comme celle de la télévision espagnole TVE. La chaîne publique a décidé ne pas ne participerait pas à l’appel d’offres pour l’obtention des droits de diffusion de la Supercoupe d’Espagne portant sur les trois éditions en Arabie Saoudite. Malgré l’importance des enjeux financiers certains sportifs tiquent un peu au moment de se rendre dans le Golfe. « On va avoir deux types de réactions, une en on et une en off. Officiellement cela reste assez lisse et respectueuse des contrats liants les sportifs avec leurs sponsors, leurs partenaires et leur clubs ou écuries, conclue l’enseignant en histoire. Les sportifs vont rester très prudents et ne veulent absolument pas exprimer un avis personnel et politique. »

L’Arabie Saoudite s’est lancée dans une grande opération de communication grâce au sport. Ce vendredi, le match Brésil-Argentine ne constitue bien qu’une émanation de cette stratégie globale de développement. L’aspect sportif et le terrain, eux, viendront plus tard.

https://rmcsport.bfmtv.com/football/pourquoi-l-arabie-saoudite-accueille-bresil-argentine-et-mise-tant-sur-le-sport-1806915.html

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