Pep Guardiola n’a dirigé que quatre rencontres, mais les premières sommations affleurent déjà. “Ce qui est clair, c’est que le Barça ne peut pas se permettre, ce soir, autre chose que la victoire, avertit le journaliste Xavier Muñoz dans Mundo Deportivo. Il en a besoin pour valider la foi en un projet sportif qui fait ses premiers pas.” Une injonction résumée en Une du quotidien sportif barcelonais, en ce mardi 16 septembre 2008, pour la réception des Portugais du Sporting : “Gagner !”

Le calendrier promettait pourtant des premiers pas sereins pour Guardiola sur le banc catalan, après une saison à se faire la main avec la réserve en quatrième division. L’histoire débuta d’ailleurs par un large succès face au Wisla Cracovie (4-0), en troisième tour préliminaire de Ligue des champions. Mais le revers au retour en Pologne (1-0) puis à Numancia (1-0), avant le nul contre Santander (1-1) dans un Camp Nou aux tribunes dégarnies, créèrent l’ombre d’un doute. “Ceux qui veulent être avec nous dès le départ seront les bienvenus, les autres, on les ralliera dans le futur”, avait clamé Guardiola en juin, dans sa conférence de presse de présentation. Trois mois plus tard, après le pire départ du Barça en Liga depuis la saison 1973/74 et un seul but marqué (sur penalty !) en 270 minutes, le peuple culé attend encore d’être convaincu.

Un soutien de poids, pourtant, s’élève face aux premières critiques. “Cela sent très, très bon, écrit Johan Cruyff dans sa chronique pour El Periódico de Catalunya, après le nul contre Santander. Je ne sais pas quel match vous avez regardé ; celui que j’ai vu était le meilleur au Camp Nou depuis longtemps.” Un sentiment partagé par les joueurs. Avant la réception du Sporting, Andrés Iniesta passe dans le bureau de son jeune entraîneur de 37 ans. “Ne vous inquiétez pas, Míster. On va tout gagner. On est sur le bon chemin. Continuez comme ça, d’accord ? On joue brillamment, on adore l’entraînement. S’il vous plaît, ne changez rien. ¡ Vamos de puta madre !” Les encouragements du champion d’Europe, habituellement introverti, ont profondément touché Guardiola.

Pep Guardiola en 2008

“Dans ce club, et dans le sport en général, le résultat détermine tout, reconnaît Pep la veille de son baptême du feu en Ligue des champions. Il faut gagner maintenant pour casser rapidement cette dynamique.” “C’est important de gagner pour calmer les gens”, concorde Lionel Messi, 21 ans, fraîchement médaillé d’or aux JO de Pékin mais épinglé, lui aussi, par Diego Maradona. Après les titularisations des jeunes Sergio Busquets (20 ans) et Pedro (21 ans) trois jours plus tôt, retour de l’expérience, avec Xavi-Keita-Iniesta au milieu, Messi-Eto’o-Henry devant.

Derrière, Éric Abidal, qui peine à s’adapter à la nouvelle donne, est ponctuellement écarté. “Je ne connaissais pas l’entraîneur ou comment il travaillait, raconte le Français dans ‘Pep Guardiola, Another Way of Winning’. Le premier mois était difficile, parce que j’étais père de famille, j’avais trente ans, et on ne parle pas de la même manière à un jeune joueur qui débute qu’à un vétéran. Mais c’était ce qu’il faisait ! Il nous a fait changer de place à table, et il m’a fait parler espagnol avec Thierry Henry quand on était avec le groupe. Je suis allé parler au président Laporta pour lui dire que je ne le tolèrerais pas, que je voulais partir, mais il m’a dit de me calmer, que c’était sa manière de faire et que tout se passerait bien. Aujourd’hui, j’en rigole quand j’y repense.” Carles Puyol le remplace dans le couloir gauche pour son 400e match avec le Barça.

Une animation déjà similaire à celle de Manchester City aujourd’hui

Dès le coup d’envoi, le 4-3-3 catalan se déforme. Dani Alves se place haut dans le couloir droit, laissant une défense à trois Piqué-Márquez-Puyol étirée sur la largeur en phase de possession. Xavi assiste Keita derrière les attaquants du 4-4-2 en losange du Sporting, Messi et Iniesta se placent entre les lignes axe droit et axe gauche, tandis qu’Henry joue très haut et très écarté à gauche. Exactement le genre d’animation que l’on retrouve parfois douze ans plus tard à City, mais en miroir, avec Benjamin Mendy dans le rôle d’Alves et Kyle Walker dans celui de Carles Puyol. Les positions ne sont pas figées pour autant : à droite, Alves, Xavi et Messi se répartissent le couloir, le soutien en retrait et le demi-espace avancé, tandis qu’Henry et Eto’o permutent régulièrement au gré des courses du premier et des décrochages du second.

Le schéma tactique

Au centre de la ligne défensive, profitant de la supériorité numérique initiale, Rafa Márquez est à la manœuvre. Son jeu long fait merveille pour trouver les joueurs excentrés, Thierry Henry notamment, omniprésent. Le Sporting densifie l’axe et concède l’accès aux couloirs. Le Français peut percuter, soit en provoquant Abel Ferreira en un contre un, soit en sollicitant un une-deux en profondeur avec Iniesta. “J’ai réappris à jouer au football à trente ans, après ce que j’avais accompli en club à Arsenal, à Monaco, à la Juve, mais aussi au niveau international, expliqua-t-il dix ans plus tard dans l’émission SoccerAM de Sky Sports. J’ai soudainement vu le jeu d’une manière différente, la compréhension de l’espace, rester dans sa position. C’est comme si je vous disais : on se retrouve à Londres. Et je ne vous donne pas l’adresse. Si vous êtes intelligent, vous me trouverez peut-être. Mais Pep vous donne le GPS, l’adresse, la voiture et tout le reste.”

Pas encore fixé dans son rôle de faux numéro 9, Lionel Messi, lui, n’est pas en réussite, malgré plusieurs prises de balle dont il a le secret et un petit pont sur Moutinho qui réveille un Camp Nou léthargique. L’entame pleine de maîtrise des Blaugranas est finalement validée par Márquez, oublié au second poteau sur un corner de Xavi (1-0, 21e). Un premier but bien loin de ce que représentera l’idéal du Barça de Guardiola.

Si Samuel Eto’o montre qu’il a déjà bien intégré la règle des six secondes pour récupérer le ballon après la perte, lançant systématiquement le contre-pressing, Barcelone n’est pas encore une machine à presser haut. Le bloc médian peine sur défense placée, permettant au Sporting d’émerger, mais un piège du hors-jeu efficace limite les situations dangereuses. Après le 2-0 signé Eto’o sur penalty (59e), Tonel ramène toutefois les Lions à un but, sur un coup franc de Veloso (72e).

Les Portugais ont élevé l’intensité pour revenir dans la partie, ce qui ne fait que magnifier Andrés Iniesta, meilleur Barcelonais du jour avec sa science des petits espaces, ses appuis courts et ses changements de direction étourdissants. Sa passe décisive pour Xavi, à la 87e minute, est une œuvre d’art, une offrande délicatement enveloppée dans la course de son compère de l’entrejeu, pour entériner la première réussie de l’ère Guardiola en Ligue des champions. “J’ai senti une connexion, racontera Iniesta en 2016, dans le Guardian, sur ces premiers mois. On est revenus de l’Euro 2008 et on pouvait déjà voir que c’était différent : l’entraînement, la communication, comment l’entraîneur se comportait. Jusque-là il n’y avait pas un style aussi défini et je m’y suis identifié. Cela a tout changé et on en avait besoin.”

Le point de départ du sextuplé

Le sacre de Rome ne s’est pas fait en un jour, et le Barça de ce 16 septembre 2008 restait largement perfectible dans sa maîtrise du rythme, dans la justesse de ses combinaisons dans les trente derniers mètres et dans son organisation sans ballon. Mais les fondations du jeu de position et de la flexibilité tactique qui allaient enivrer le continent étaient posées et commençaient à porter leurs fruits. “Bonne première”, titre sobrement Mundo Deportivo le lendemain, complimentant un Barça qui “a débuté en Champions avec une victoire, des buts et des phases de football enthousiasmantes”. “Quand on marque et qu’on joue comme ça, on prend du plaisir en tribune et sur le terrain”, apprécie Thierry Henry, tandis que Samuel Eto’o dédie son penalty à son entraîneur. Lequel s’offre un bien précieux dans un club où la crise couve à la moindre contre-performance : du temps.

https://rmcsport.bfmtv.com/football/la-premiere-de-pep-guardiola-en-ligue-des-champions-1907752.html

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