Thierry Henry vient de passer une saison – chamboulée par le Covid – sur le banc du Club de Foot Montréal (ex-Impact) en MLS. Loin de la pression médiatique qui avait accompagné son passage à Monaco. Alors qu’il vient d’annoncer son départ « pour raisons familiales », RMC Sport a interrogé ceux qui l’ont côtoyé là-bas pour évoquer l’apprentissage et l’évolution de coach « Titi » au Québec.

Publié le 25/02/2021 à 11:52  | MAJ à 17:52

[UPDATE] 25 février, 17h: Quelques heures après la diffusion de cet article, le Club de Foot Montréal a annoncé le départ de Thierry Henry « pour raisons familiales ». Qui sont expliquées dans les lignes qui suivent.

Il n’a rien perdu de son âme de joueur. Quand il fallait s’impliquer dans un exercice avec son groupe du Club de Foot Montréal, nouveau nom de l’Impact (avec un changement d’identité visuelle qui a mis nombre de fans en colère), vous pouviez compter sur Thierry Henry. « Tu vois que le jeu lui manque, témoigne le milieu québécois Samuel Piette. Il participe beaucoup aux entraînements pour ‘sentir’ les choses de l’intérieur. Ce n’est pas quelqu’un qui reste le long de la ligne de touche les bras croisés. Quand on fait de la possession, il va parfois servir de joker si le nombre de joueurs de chaque côté ne correspond pas. La qualité technique est encore là. Sur son seul toucher de balle, tu sens qu’il est très loin d’avoir tout perdu. »

Thierry Henry, quarante-trois ans, 441 buts en carrière, est un jeune coach. Mais il n’épouse pas le modèle du manager moderne qui laisse ses adjoints les mains dans le cambouis pour observer de loin. « Dans les bureaux, il délègue beaucoup à ses adjoints, raconte Olivier Renard, directeur sportif belge du club montréalais. Mais sur le terrain, il aime bien montrer lui-même ce qu’il aimerait voir. Il a un corps d’athlète et il pourrait jouer demain. Il n’a pas pris un kilo. » Mais sa place est désormais sur le banc. Loin des yeux, loin du cœur, on avoue ne pas avoir bien suivi la première saison de « Titi » à Montréal. On l’avait laissé sur le rendez-vous manqué avec Monaco fin 2018, trois mois et puis s’en va, remplacé par celui qu’il avait remplacé (Leonardo Jardim) après quatre victoires, cinq nuls et onze défaites.

Thierry Henry lors de sa signature avec l'Impact Montréal en novembre 2019

Thierry Henry lors de sa signature avec l'Impact Montréal en novembre 2019

Thierry Henry lors de sa signature avec l’Impact Montréal en novembre 2019 © AFP

Une expérience qui ne l’avait pas dégoûté du métier, bien au contraire, et dont il voulait vite « se relever, apprendre et reprendre le combat ». « Tout le monde devrait être jugé sur ce qu’il faut, pas sur ce qu’il a fait », lançait-il au Daily Mail en janvier 2020. Alors, ça s’est passé comment au Québec? Avec une saison à huit victoires, treize défaites et deux nuls, le champion du monde 1998 a qualifié Montréal pour les playoffs de la MLS, une première depuis 2016, pour une défaite (2-1) au tour préliminaire contre le New England Revolution. Il a aussi porté l’équipe en quarts de finale de la Ligue des champions de la CONCACAF, sortie par le CD Olimpia avec un match retour… neuf mois après l’aller. Il y a aussi eu le tournoi « MLS is Back », disputé à l’été en Floride et conclu en huitièmes (défaite contre Orlando City) après trois revers en quatre matches. Rien d’infamant. Rien de dingue non plus. Mais positif quand on regarde le décor.

Situation sanitaire oblige, Montréal a vécu une saison entre la Floride – vingt-six jours dans une bulle – et un exil de près de trois mois dans le stade des New York Red Bulls pour jouer ses matches « à la maison », avec quelques retours au Québec entretemps… pour des quarantaines. « En championnat, ils n’ont joué que quatre matches à domicile, pointe Dave Lévesque, qui suit l’équipe pour Le Journal de Montréal. Dans ces circonstances, il s’en est plutôt bien tiré. » « Il a réussi sa première saison, estime Olivier Renard. On pourrait faire mieux et on a eu des moments difficiles. Mais pour une première année dans ces conditions, c’était plus que bien. »

Le directeur sportif Olivier Renard (à gauche) et le président Kevin Gilmore entourent Thierry Henry lors de sa conférence de présentation à l'Impact Montréal en novembre 2019

Le directeur sportif Olivier Renard (à gauche) et le président Kevin Gilmore entourent Thierry Henry lors de sa conférence de présentation à l'Impact Montréal en novembre 2019

Le directeur sportif Olivier Renard (à gauche) et le président Kevin Gilmore entourent Thierry Henry lors de sa conférence de présentation à l’Impact Montréal en novembre 2019 © AFP

Privé des siens pendant plus de huit mois, sa famille ne pouvant pénétrer au Canada et lui ne pouvant partir les rejoindre à Londres, « Titi » a vécu toute la saison à l’hôtel, dont il avouait deux mois après son arrivée « ne pas être encore sorti » en raison des températures. Une épreuve mentale relevée sans se plaindre. « Il n’a jamais voulu en parler, raconte Olivier Renard. Il a essayé de minimiser le stress familial pour ne pas l’ajouter au stress global d’un entraîneur. Thierry a fait des sacrifices énormes car il veut devenir un bon coach. Sur dix entraîneurs, combien auraient fait la même chose? Au lieu d’avoir tes enfants, tu as trente-deux enfants à gérer dans le même hôtel, avec des frustrations car untel et untel ne jouent pas, et il l’a fait remarquablement. »

La situation aurait pu le décourager. Il l’a transformée en formation accélérée. « La saison a été compressée en six mois mais c’est l’équivalent de cinq saisons de coaching, estime Olivier Renard. Quand tu es quatre mois et demi avec les mêmes têtes, au petit-déjeuner, au déjeuner, au dîner, ce n’est pas évident. On avait aussi quatre joueurs dont les femmes étaient enceintes. Il a eu énormément de gestion humaine à faire, plus que de la gestion tactique. C’est l’aspect où il devait peut-être s’améliorer le plus et il l’a fait. Il a beaucoup appris. J’ai vu un homme progresser sur le relationnel avec les joueurs. Il m’a dit que c’était le moment le plus difficile de sa carrière au niveau mental. On a aussi eu beaucoup de blessés, car les blessures viennent aussi du stress projeté sur le corps, mais je ne l’ai jamais vu stressé car il manquait trois-quatre joueurs importants. Et le groupe l’a ressenti aussi. »

Un groupe avec lequel il a su être proche. « Thierry est un coach qui parle beaucoup, qui exprime sa colère quand c’est le bon moment mais qui est aussi capable de rigoler avec son staff et les joueurs, d’avoir une discussion sur un autre sujet que le foot », raconte Samuel Piette. Ses entraînements se faisaient en anglais, logique dans un groupe international. Mais selon la nationalité en face, il savait jongler entre les langues. « On parle français tous les deux, explique Samuel Piette, mais il communique aussi en anglais ou en espagnol. Parfois, il me donne un conseil en espagnol et il le réalise: ‘Ah putain, pourquoi je parle espagnol?’ Et il recommence à parler français. »

Peu importe l’origine des mots, Thierry Henry sait parler le football. L’homme n’a pas changé. Il reste un mordu de ballon rond, capable d’en parler (et très bien) pendant des heures. « C’est un peu le Wikipedia du foot, sourit Olivier Renard. Il connaît tout. Dès mon premier rendez-vous, il avait déjà analysé l’effectif, on était déjà en grande partie d’accord sur qui laisser partir et quel type de joueurs acheter pour nous améliorer. Et quand vous parlez football avec lui, pas besoin de lui apprendre certaines choses. Il sait ce qu’il fait. » Henry garde ses principes de jeu, entre construction avec le cuir et pressing haut à la récupération, à l’image du travail de Jürgen Klopp à Liverpool qu’il voit comme « contagieux » ou de celui de Marcelo Bielsa à Leeds qu’il adore. « Dès le premier camp d’entraînement, on a instauré un système où on repart de derrière, avec une forte possession mais aussi un jeu qui va vite vers l’avant, et ça a été un peu non négociable toute la saison », témoigne Samuel Piette.

Thierry Henry s'agenouille en hommage à George Floyd et au mouvement Black Lives Matter lors du tournoi "MLS is Back" en juillet 2020

Thierry Henry s'agenouille en hommage à George Floyd et au mouvement Black Lives Matter lors du tournoi "MLS is Back" en juillet 2020

Thierry Henry s’agenouille en hommage à George Floyd et au mouvement Black Lives Matter lors du tournoi « MLS is Back » en juillet 2020 © AFP

Un football où les joueurs doivent oser. « Au début, il y avait des doutes, parce qu’on ne pensait pas que l’équipe avait l’effectif pour jouer comme ça, explique Dave Lévesque. Mais l’adhésion des supporters a été de plus en plus grande au fur et à mesure, surtout que c’est un jeu porté sur l’attaque, ce qu’on n’avait pas eu sur les deux saisons précédentes avec Rémi Garde qui n’avait pas les outils pour et qui jouait la plupart du temps le 1-0. Jouer le 1-0, même si sa vie en dépendait, je ne suis pas convaincu que Thierry le ferait. (Sourire.) Il préfère un 4-3 où son équipe a bien joué. Les joueurs semblent prendre du plaisir avec lui. » Rémi Garde a entraîné Montréal en 2018 et 2019, remplacé un court moment par le Colombien Wilmer Cabrera avant l’arrivée de « Titi » en novembre 2019. Entre les deux Français, la différence est palpable. « Avec Rémi, c’était un style de jeu avec un bloc un peu plus bas, être un peu plus patient, récupérer la balle au bon moment, rappelle Samuel Piette, alors que là, c’est dès la perte de balle qu’il faut la récupérer et prendre des risques. »

Un style annoncé dès sa prise de contact avec Olivier Renard. « Ce qu’on s’est dit lors de nos premiers rendez-vous, c’est exactement ce qui se passe, raconte le directeur sportif. On a perdu des points parce qu’on voulait construire de derrière, ce qui peut donner des erreurs. Mais les joueurs ont progressé dans ce système. » Et quand sa formule ne fait pas mouche, Coach Henry ne joue pas l’entêté. « Il n’est pas braqué, et c’est aussi pour ça que je dis qu’il s’améliore, explique Olivier Renard. Il a commencé avec une certaine idée d’un 4-3-3 mais on a vu que l’effectif ne nous permettait pas de jouer comme il le voulait et il a glissé avec trois défenseurs derrière, toujours pour garder la même philosophie. C’est la qualité d’un entraîneur de savoir s’adapter. » De changer les choses, aussi, quand il voit une opportunité. Samuel Piette, plusieurs fois capitaine la saison dernière, est un bon exemple.

Thierry Henry (en noir) avec ses joueurs de Montréal lors du tournoi "MLS is Back" en juillet 2020

Thierry Henry (en noir) avec ses joueurs de Montréal lors du tournoi "MLS is Back" en juillet 2020

Thierry Henry (en noir) avec ses joueurs de Montréal lors du tournoi « MLS is Back » en juillet 2020 © AFP

Passé à Metz en fin de formation, puis par l’Allemagne et l’Espagne, le milieu international canadien avait l’habitude d’évoluer en sentinelle devant la défense. « Titi » lui a ouvert de nouveaux horizons. « Au début, c’était une position où j’étais latéral droit lors des phases défensives, puis je montais à la récupération », raconte l’intéressé. « Cette période n’est pas celle où on a pris le plus de points, précise Olivier Renard, mais quand Thierry a vu que ça n’avait pas marché, il n’était plus dans la frustration d’essayer de démontrer que son idée était la bonne et de continuer jusqu’à se brûler. » « Mon poste s’est finalement transformé en numéro 8, poursuit le joueur québécois. Il m’a nommé quelques joueurs qui avaient fait un changement de position comme exemples, à l’image de James Milner à Liverpool, et j’ai pu m’adapter à ce rôle au fil du temps grâce à ces conseils. » La présence de l’expérimenté Victor Wanyama, qui évolue en 6, a facilité la transition devenue réussite.

« Samuel a fait des choses qu’il ne pensait pas pouvoir faire dans son registre de joueur, se satisfait le directeur sportif. Il va se rappeler toute sa carrière de l’entraîneur Thierry Henry car il l’a fait progresser dans d’autres aspects. » Quand il a lui a proposé le projet, avec plusieurs rendez-vous à Londres à l’automne 2020, Olivier Renard – ancien gardien qui a fait une partie de sa carrière de joueur en Italie avant de devenir directeur sportif en Belgique et d’arriver dans l’équipe québécoise via sa relation avec Walter Sabatini, directeur général sportif de Bologne et Montréal, qui appartiennent au même propriétaire Joey Saputo – avait insisté sur la volonté du club de rajeunir son effectif (où il a retrouvé l’Espagnol Bojan Krkic, connu au Barça). Il fallait faire confiance aux jeunes et « Titi » a épousé l’idée, à l’image du Britannique Luis Binks (dix-neuf ans) installé en défense centrale dès l’entame de la saison après être arrivé de Tottenham et recruté derrière par… Bologne même s’il restera en prêt au Québec jusqu’à fin 2021.

« Lorsque le directeur sportif a été embauché, l’objectif était d’adopter un modèle quasi inexistant en MLS où on mise sur de jeunes joueurs qu’on pourra ensuite transférer pour des montants intéressants, un peu comme à Monaco, pointe Dave Lévesque. Thierry n’a jamais hésité à lancer les jeunes, ceux de l’académie comme les recrues. Il a cette volonté de ‘défier’ les jeunes: les lancer dans la gueule du loup pas pour les mettre dans le pétrin mais pour leur permettre de se montrer. Il accepte l’erreur pour autant que la personne va apprendre de cette erreur et qu’elle ne soit pas bête mais commise de bonne foi, en tentant quelque chose d’intelligent. Le milieu Amar Sejdic, par exemple, a commencé à avoir du temps de jeu car il jouait bien à l’entraînement. Thierry lui a permis de faire des erreurs en match sans le retirer. Il semble être plus patient qu’il ne l’a été à Monaco. »

« Il travaille là-dessus »

A l’entraînement, le Daily Mail l’avait vu parler plusieurs dizaines de minutes à un jeune de l’équipe pour le conseiller. Tout sauf rare. Olivier Renard, qui l’avait connu à la Coupe du monde U20 en 1997, cherchait un coach « francophone et qui connaissait la MLS ». Mais aussi un technicien « jeune dans sa tête, capable de comprendre comment fonctionnent les jeunes de maintenant », bêtes différentes de celles de sa génération à l’heure des réseaux sociaux et de leur envie de tout renverser tout de suite. Avec Henry, qui a avoué combien ses enfants et ses joueurs lui apprennaient là-dessus, il semble avoir visé juste: « S’il n’était pas capable de gérer un groupe de la nouvelle génération, ça aurait explosé quand on était plusieurs mois dans le New Jersey. Il y a des choses qu’on trouvait inacceptables de la part de certains joueurs et on se disait: ‘Bon, d’accord, il est jeune, il est loin de sa famille…’ On mettait un peu de beurre pour que ça passe sinon tu arrives dans un clash total. Dans le football moderne, tu es obligé de gérer ça. »

Le joueur moderne a moins de capacité de concentration, aussi. « Titi » le prend en compte. « Il fait énormément de vidéo avec son staff, confie le directeur sportif, mais il va raccourcir ça en une demi-heure pour les joueurs. » Sur le Rocher, Henry avait pris les rênes d’une équipe dans l’urgence de la quête de points. A Montréal, Renard lui a proposé un environnement plus serein pour se développer: pas de pression de résultats, même si les playoffs étaient l’objectif, et impossibilité de descendre car ligue fermée. Plus facile dans ces circonstances de gérer les coups durs, comme le départ de l’attaquant argentin Nacho Piatti – meilleur buteur de l’histoire du club – avant la saison ou celui du milieu algérien Saphir Taïder en cours d’exercice car il ne supportait plus d’être séparé de sa famille. Ce qui n’a pas empêché pas l’exigence, sa marque de fabrique.

« C’est parfois plus exigeant qu’avec d’autres entraîneurs mais c’est bien accepté par tout le monde car ça nous permet de grandir », explique Samuel Piette. A Monaco, on avait pointé son côté trop intransigeant avec ses joueurs, un manque de tolérance et de pédagogie qui laissait à penser que le meilleur buteur de l’histoire des Bleus ne comprenait pas pourquoi ses troupes ne jouaient pas aussi bien que lui pendant sa carrière. Et qu’il ne prenait pas sa part d’erreur(s). Une vidéo devenue virale en octobre, où on le voit apostropher ses joueurs à coups de « Tu sais passer la balle en une touche, non? Pourquoi tu ne le fais pas? » ou « Peux-tu aller derrière lui? Pas face à lui, ce n’est pas du football! Ce n’est pas une course de football! » (liste non exhaustive), laisse à penser qu’il n’a pas changé. « Ses attentes et ses standards sont hauts, et il vit le match à 100%, confirme Samuel Piette. Ça nous fait parfois rire. C’est quelqu’un qui est demandeur car c’est la culture dans laquelle il a grandi et vécu. »

Il réclame toujours à ses joueurs de s’adapter aux autres, de se parler pour se connaître dans le jeu, comme Arsène Wenger lui a inculqué à Arsenal. Mais comme promis, il a retenu les leçons monégasques. « Les angles se sont un peu arrondis, constate Dave Lévesque. Je le sens capable de mettre un peu plus d’eau dans son vin, de mieux accepter les erreurs de ses joueurs. » Aucun joueur montréalais ne n’est plaint de son attitude ou de ses choix dans les médias. Mais ils ont des yeux et des oreilles. « Titi » le sait et l’intègre de plus en plus.

« Ça fait partie des discussions entre Thierry et moi, reconnaît Olivier Renard. Il fonctionne comme on a fonctionné avec lui. Dans sa formation, les gens ont été très durs avec lui, notamment son papa, pour le pousser au maximum. C’est ce qu’il essaie de faire. Quand il fait des gestes car un joueur rate une passe, ce n’est pas parce qu’il est à bout, ça sort de lui naturellement. Mais les joueurs peuvent être vexés. Il en est conscient et il travaille là-dessus. Il y a une différence entre le coaching de Thierry au début et maintenant. Mais il me l’a dit: le jour où il ne va plus parler à un joueur, plus réagir à ce qu’il fait, ça veut dire qu’il a abandonné avec lui. Quand il est toujours derrière, à le pousser, même parfois fort, c’est pour son bien. Attaquer un joueur gratuitement n’est pas son but, il veut le faire progresser. Mais tu dois aussi savoir que tu peux être dur avec tel joueur et que tu dois être un peu plus ‘papa poule’ avec tel autre. Ça fait partie de son apprentissage. »

Avec celui qui ne voit pas le succès à l’aune des seules victoires mais aussi dans le fait de « faire de quelqu’un un meilleur joueur ou une meilleure personne », l’exigence est partout. Comme dans cette tendance à presque préférer une défaite en jouant bien qu’une victoire sans saveur. « Parfois, après des défaites, il disait: ‘Ce soir, on a tout mis sur le terrain’, raconte Dave Lévesque. Tu sentais qu’il n’était pas amer de ces revers-là, même s’ils étaient larges. Il veut surtout que son équipe tente des choses et montre une volonté de jouer à chaque match. »

Thierry Henry a bouclé sa première saison à Montréal sur une qualification pour les playoffs MLS

Thierry Henry a bouclé sa première saison à Montréal sur une qualification pour les playoffs MLS

Thierry Henry a bouclé sa première saison à Montréal sur une qualification pour les playoffs MLS © AFP

Et la pression dans tout ça? En débutant comme coach principal à Monaco, son ancien club, après avoir été adjoint de la sélection belge, Thierry Henry s’est retrouvé en pleine lumière. C’était moins le cas à Montréal, où « il peut se promener dans la rue » et voir les gens « lui demander un autographe occasionnellement » mais où « il n’y aura pas de photographe qui va se cacher dans une poubelle pour le surprendre au coin d’une rue comme en Angleterre » (Dave Lévesque), même si elle existait aussi. « Il ne passe pas inaperçu ici, précise Samuel Piette. Partout où on va, les gens le reconnaissent. Mais la pression, il se la met lui-même, dans le bon sens du terme, avec son envie de bien faire. Il a connu le très haut niveau comme joueur et c’est ce qu’il veut comme entraîneur. »

L’aspect médiatique facilite la chose. En France, la relation de « Titi » avec les journalistes vire souvent au compliqué voire au conflictuel. Au Québec, où il faut répondre aux questions en français et en anglais et où « les entraînements sont toujours ouverts, sauf la veille des matches, ce qui est nouveau depuis qu’on a des entraîneurs français » (Dave Lévesque), les choses se sont un peu mieux passées. « On s’est parfois questionné sur sa volonté de jouer à cinq derrière, explique notre témoin journaliste, même s’il insiste que ce sont trois centraux avec deux ailiers offensifs-défensifs, parce que ça ne fonctionnait pas au début, mais les choses ont commencé à se mettre en place dans ce schéma en fin de saison. Il y avait aussi une volonté chez mes collègues de lui donner du temps, surtout avec des mois à jouer loin de la maison. »

Quelques « Si vous avez regardé le match… » ou « Vous, vous ne voyez pas ça, mais… » lâchés aux journalistes ont toutefois pu être vus comme un côté arrogant qu’on lui reprochait déjà à Monaco. Et il faut toujours faire attention à ce qu’on dit. « En début de saison, je voyageais encore avec l’équipe et j’ai eu l’occasion de m’asseoir seul avec lui dans l’avion, raconte Dave Lévesque. C’était cordial, sympa, on peut même avoir une conversation sur autre chose que le foot. Thierry n’a pas la grosse tête mais il a parfois un peu un côté professeur. Il n’hésitera pas à te reprendre ou à te couper si une question n’est pas claire ou mal formulée. On a parfois même de l’appréhension à la poser : tu la formules plusieurs fois dans ta tête pour être sûr qu’elle soit bonne et ne pas te faire prendre en défaut. Ça génère un peu de stress de notre part. Quand on parle de foot avec lui, il faut être très solide sur ses appuis. »

Thierry Henry agité sur son banc, une image qui l'accompagne de Monaco à Montréal

Thierry Henry agité sur son banc, une image qui l'accompagne de Monaco à Montréal

Thierry Henry agité sur son banc, une image qui l’accompagne de Monaco à Montréal © AFP

« Le problème, quand tu es une personnalité, c’est que quand tu vas avoir une fois un problème avec un journaliste, c’est ce qui va faire le tour du monde, rappelle Olivier Renard. C’est frustrant car il donne beaucoup aux jeunes, aux enfants, et parfois tu vas avoir une critique qui dit qu’il est ‘inabordable’, ce qui est faux. Il peut parfois être maladroit. Mais qui est parfait? La gestion des émotions quand tu as un article complétement à côté de la réalité… Tu vas te braquer, répondre mal et on va dire que tu es hautain. Il prend parfois des distances, et je peux le comprendre, mais il est loin de ça, vraiment. » Et le directeur sportif d’aller plus loin: « Peut-être qu’un jour il vous dira merci pour les critiques. Après Monaco, où il a hérité d’une situation où il n’avait pas le contrôle à 100%, il s’est remis en question. Il dit lui-même qu’il a appris de ses erreurs. Il veut prouver qu’il peut devenir un bon coach, et ici on lui donne le temps de le faire. »

A Montréal, où on misait sur lui « pour faire rayonner le club à l’international » (Dave Lévesque), on espérait voir « Titi » rester le plus longtemps possible. « Ce poste, il l’aura plus ou moins pour le temps qu’il voudra l’avoir », nous annonçait le journaliste. « Il ne m’a jamais donné l’impression de vouloir partir d’ici, avançait Olivier Renard. Avec ce que nous avons connu la saison passée et sa situation familiale, il serait facile pour lui de sortir cette excuse pour rentrer. Mais il ne le fait pas. Ça veut dire qu’il se plaît dans ce projet sportif. » Cette interview avec le directeur sportif avait été réalisée trois semaines avant la publication de cet article. Quelques heures plus tard, et quelques joueurs après avoir passé un entretien pour le banc de Bournemouth (il n’a pas été retenu), « Titi » a finalement annoncé son départ de Montréal « pour raisons familiales » car trop privé de ses enfants, situation qui n’allait pas s’améliorer cette saison avec des conditions encore compliquées pour les équipes canadiennes (la frontière avec les Etats-Unis reste fermée) et un nouvel exil américain en perspective.

Mais le Québec aura fait partie de son histoire de coach. De son apprentissage. A Montréal, on s’accorde sur une chose: Henry a tout pour être un grand coach. « Au niveau foot, c’est un des meilleurs que j’ai croisés, juge Samuel Piette. Quelqu’un qui ne néglige aucun détail, que ce soit de contrôler avec telle ou telle surface du pied ou des choses comme ça, autant sur le plan technique que tactique. » « Il lui manque une chose: la patience des gens vis-à-vis de lui en tant que coach, poursuit Olivier Renard. Il a tout le bagage pour faire quelque chose de grand et je suis persuadé qu’il va le faire. Il a encore des points à améliorer, et il le sait très bien, mais il est sur une pente ascendante. Le jour où il ne sera plus à Montréal, ça voudra dire qu’il aura fait de bonnes choses et qu’il sera parti dans un club supérieur. » L’éloignement des siens aura été le facteur décisif. Sa prochaine étape sur une banc n’est pas encore connue. Une certitude: elle se fera en pleine lumière. Il est Thierry Henry. Il sera toujours attendu au tournant.

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