Annoncé en grande pompe dimanche, le projet des grands clubs est quasi-mort ce mardi.
Explosion avant même le décollage. En l’espace de 48 heures, ce projet de compétition privée porté par douze grands clubs dissidents a mis à feu et à sang le football européen… avant de vaciller face à une première défection, celle de Manchester City.
Récit de deux jours qui ont bien failli changer la face du football européen, avant de tourner à la mauvaise farce.
– Dimanche 18 avril, 17h19 (heure de Paris) –
La rumeur revenait périodiquement depuis plusieurs mois, ce qui avait poussé l’Union européenne de football (UEFA) et la Fédération internationale (Fifa) à publier en janvier un inhabituel communiqué commun: les deux instances menaçaient de sanction d’éventuels sécessionnistes souhaitant développer une compétition européenne privée et concurrente de la Ligue des champions, épreuve phare de l’UEFA depuis 1955.
Mais dimanche, la menace se précise alors que l’instance européenne s’apprête à adopter le lendemain une réforme de la C1, pourtant plus favorable aux grands clubs à qui l’instance compte garantir davantage de matches, donc de revenus.
A 17h19, pressentant l’officialisation imminente du projet de Super Ligue, l’UEFA dégaine un communiqué préventif menaçant d’exclure de toute compétition nationale et internationale les clubs qui participeraient à une ligue privée, ainsi que leurs joueurs.
Fait rare en matière sportive, un domaine où l’Elysée reste habituellement en retrait, la présidence française dénonce également auprès de RMC SPORT un projet « menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif ».
– Lundi 19 avril, 00h01 –
Un communiqué de trois pages, avec un en-tête « The Super League », tombe dans les boîtes mail des journalistes et fait l’effet d’une bombe: douze clubs parmi les plus riches (Real Madrid, Barcelone, Manchester United, Liverpool…) annoncent créer leur compétition quasi fermée, avec 15 membres de droits et cinq invités chaque saison.
Ce changement de paradigme, dans un football européen pyramidal bâti sur le principe de mérite sportif, remet en cause la redistribution des revenus de la C1 vers les championnats nationaux.
Cette fois, la Super Ligue semble concrète et n’est plus l’argument agité périodiquement par les grands clubs pour obtenir davantage de concessions.
« Si c’est un bluff c’est un bluff avec des mises incroyablement hautes, avec un site web officiel, avec des déclarations formelles sur leurs sites internet », s’étonne alors auprès de l’AFP un bon connaisseur des instances.
– Lundi 19 avril, 13h27 –
On découvre que les clubs frondeurs sont prêt à aller au combat: dans une lettre obtenue par l’AFP, la Super Ligue prévient l’UEFA et la Fifa qu’elle « a lancé une procédure devant les juridictions compétentes pour assurer l’instauration et le fonctionnement sans accroc de la compétition ».
– Lundi 19 avril, 14h42 –
Le président de l’UEFA Aleksander Ceferin se présente en conférence de presse, costume sombre et visage fermé, à l’issue d’un comité exécutif de l’instance.
L’avocat slovène ne mâche pas ses mots: la Super Ligue est « une proposition honteuse » de quelques « serpents » seulement « guidés par l’avidité », « un crachat au visage de tous les amoureux du football ».
Sur un plan plus personnel, la trahison est immensément douloureuse pour lui: il est le parrain d’un des enfants d’Andrea Agnelli, le patron de la Juventus, l’un des clubs dissidents! Ce dernier, après lui avoir assuré en début de week-end qu’il ne fallait pas croire les rumeurs de sécession, a retourné sa veste, devenant subitement injoignable par son ancien ami.
Ceferin promet alors une riposte et annonce au passage l’adoption de la réforme de la Ligue des champions, comme si de rien n’était.
– Lundi 19 avril, 17h30 –
Face aux revenus mirifiques promis par les promoteurs de la Super Ligue, notamment un versement initial de 3,5 milliards d’euros à se partager entre clubs fondateurs, les marchés financiers se frottent les mains.
L’action de la Juventus Turin clôt en forte hausse lundi en fin d’après-midi (+17%) tandis que celle de Manchester United progresse nettement à New York.
– Mardi 20 avril, 00h03 –
Florentino Pérez, tout-puissant patron du Real Madrid et nouveau président de la Super Ligue, se présente sur le plateau du talk-show espagnol El Chiringuito.
Manières onctueuses et voix posée, le chef d’entreprise juge « impossible » que les clubs frondeurs soient exclus et défend son projet.
« La nouvelle Ligue des champions est censée débuter en 2024 »; à cette échéance, avec la pandémie, « tous les clubs seront morts! » plaide Pérez.
– Mardi 20 avril, 10h38 –
Gianni Infantino, président de la Fifa souvent en désaccord avec Ceferin ces dernières années, apporte un soutien remarqué à l’UEFA: devant le congrès de l’instance européenne et ses 55 fédérations membres, le dirigeant fustige les rebelles qui « devront subir les conséquences » de leur rupture.
Dans la foulée, les fédérations membres adoptent à l’unanimité une résolution condamnant la Super Ligue et ses instigateurs, même si Ceferin assure les clubs rebelles qu’il est « encore temps de changer d’avis ».
– Mardi 20 avril, 17h42 –
La bataille judiciaire se précise: dans une décision en référé, un tribunal de commerce de Madrid interdit à l’UEFA et à la Fifa toute mesure contre le lancement de la Super Ligue, dans l’attente d’une décision sur le fond du dossier.
Cette première victoire dans les prétoires semble augurer d’un long bras de fer judiciaire entre deux camps apparemment irréconciliables.
– Mardi 20 avril, 19h45 –
Incroyable retournement de situation: plusieurs médias britanniques, dont la BBC, commencent à évoquer les hésitations de certains clubs frondeurs, voire leur volonté de se retirer.
Au même moment, des centaines de supporters en colère de différents clubs anglais se réunissent aux abords de Stamford Bridge, le stade de Chelsea, l’un des rebelles.
– Mardi 20 avril, 21h19 –
Sous la pression, Manchester City est le premier à céder, annonçant dans un communiqué avoir « formellement lancé la procédure pour se retirer du groupe chargé de développer le projet de Super Ligue européenne ».
Un retournement de situation dont le président de l’UEFA Aleksander Ceferin s’est aussitôt dit « ravi ».
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