Il est l’entraîneur qui monte en Italie. Avec le football attractif qu’il a imposé à Sassuolo, faisant progresser de nombreux joueurs et portant le club à entrer dans le Top 8 italien deux années consécutives, Roberto De Zerbi a vu sa cote de popularité exploser. La locomotive du « De Zerbismo » a accroché de nombreux wagons en route et a traversé les Alpes pour s’installer jusqu’en France. Rencontre avec ces techniciens français qui ont un oeil sur les Neroverdi, pour le boulot mais aussi pour le plaisir.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Depuis quelques mois, quand les entraîneurs tricolores accordent des interviews où sont abordées leurs inspirations et sources de curiosité, le club de Sassuolo ressort régulièrement. Aujourd’hui, en France, des techniciens se penchent sur l’équipe de Roberto De Zerbi. L’Italien de 41 ans est la preuve vivante que le seul trophée remporté ne suffit pas pour avoir un rayon d’influence important auprès de ses pairs. Lui n’a encore rien gagné, mais son projet de jeu développé en Émilie-Romagne est aussi excitant qu’attrayant.

En Ligue 1, Dall’Oglio apprécie le jeu de Sassuolo

« La dernière fois, je suis allé voir ce qu’il avait fait avant Sassuolo, explique d’emblée Olivier Dall’Oglio, joint par RMC Sport. En fait, c’est bien qu’on lui ait fait confiance car il aurait pu aussi bien disparaître, parce qu’il n’a pas eu que des succès. Parfois, en France, on disparait vite. Il suffit que vous n’ayez pas de résultat et vous ne réapparaissez qu’au niveau amateur. Lui, c’est bien, on voit que les choses changent en Italie avec une ouverture d’esprit qui permet à ces profils d’exister. Il y a des présidents qui sont en train d’évoluer. Ce n’est pas toujours évident d’avoir la pression de son président au quotidien pour avoir des résultats et dans son cas, je vois qu’on le laisse développer son projet, avec réussite. »

L’entraîneur du Stade Brestois suit à l’occasion Sassuolo. C’est son analyste vidéo qui l’a branché sur le club italien. « J’aime bien lire des magazines, des articles sur Internet, je me sers aussi de la plateforme Wyscout, précise-t-il. Mais pour Sassuolo, c’est en discutant avec mon analyse vidéo (Maxime Flaman, ndlr) avec qui je travaille depuis quelque temps. C’est un passionné, fan de tactique, qui regarde tout ce qui se fait dans le football. Il a la même philosophie que moi. Il m’avait alerté et dit de regarder Sassuolo. »

Roberto De Zerbi

Roberto De Zerbi

Roberto De Zerbi © ICON Sport

On sait l’entraîneur du SB29 curieux et ayant un profond goût pour l’esthétisme appliqué au football. Son intérêt pour l’équipe de Roberto De Zerbi est de fait peu surprenant. Début avril, il a regardé le match entre l’Inter et Sassuolo, remporté 2-1 par les hommes d’AntonioConte. Ce soir-là, l’Italie avait une nouvelle fois admiré la personnalité des hommes de De Zerbi, qui avaient affronté le leader du championnat les yeux dans les yeux, monopolisant le ballon (70%) et se créant plusieurs occasions. « C’était intéressant de voir comment il avait tenu tête au leader de Serie A, abonde Dall’Oglio. Sassuolo a un jeu de possession clair et précis. D’une manière générale, je regarde comment joue cette équipe, quelles sont les innovations et les points forts, le placement des joueurs, la stratégie selon l’adversaire, et même le management. On voit par exemple beaucoup de rotations dans son équipe. » Il est vrai que l’entraîneur italien est connu pour ses turnovers réguliers et pour donner sa chance à chaque joueur de son effectif. Une force régulièrement soulignée par ses joueurs en interview. Avec lui, il n’y a pas de parole « pour concerner son groupe » sans être suivie d’effet.

Selon l’importance accordée à l’esthétisme dans le football de tout à chacun, la perception de Roberto De Zerbi est différente. Olivier Dall’Oglio, réputé pour la qualité de jeu de ses équipes, est forcément sensible à cette donnée: « Son état d’esprit m’interpelle aussi. J’avais lu une interview de lui où il disait en substance qu’il préférait retourner en Serie C plutôt que de s’ennuyer avec une équipe en Serie A. Dans nos métiers qui sont particuliers, je trouve qu’il va jusqu’au bout des choses. Il veut faire du jeu, il a son idée d’un football spectaculaire, créatif et esthétique. »

A la formation et au niveau amateur, De Zerbi inspire

Parmi les explications avancées sur cet intérêt de nombreux techniciens pour Roberto De Zerbi, l’une d’entre elles revient à chaque fois: Sassuolo est une équipe proactive avec un style de football plaisant et ambitieux. « Je trouve que c’est quelqu’un qui est ambitieux, qui fait en sorte que son équipe soit dans l’initiative, avançait en octobre dernier Pierre Sage, éducateur U16 et responsable de la méthodologie au centre de formation de l’Olympique lyonnais lors de son entretien avec le podcast Prolongation. Pour certains, c’est du risque. Pour moi, c’est plus de l’initiative. J’aime beaucoup Sassuolo et ce coach. » Au point de faire un aller-retour en Italie pour voir de plus près cette équipe, lors d’une configuration de match depuis les travées du Stade Olympique de Rome: « Je me suis déplacé en Italie voir un match de Sassuolo parce qu’on ne voit pas la même chose au stade et en vidéo. J’avais donc été les voir jouer à Rome et ce qui est intéressant c’est que les intentions durent dans le temps et même en fonction de ce qu’impose l’adversaire. Il y a une vraie idée de jeu. »

Avec le développement d’outils vidéos, le football amateur n’est pas écarté de cette course à la curiosité. « Ces entraîneurs nous facilitent la tâche, raconte Romain Péli, entraîneur des U15 Régionaux de Marignane-Gignac. Grâce à toutes les vidéos auxquelles on a accès aujourd’hui, on peut dire à nos joueurs: ‘Regardez cette équipe en Serie A qui joue le milieu de tableau, elle est capable de jouer comme ça’. » Le jeune éducateur de 24 ans apprécie Roberto De Zerbi et détaille volontiers les éléments qui lui plaisent tant: « Il a montré de manière concrète, résultats et démonstration à l’appui, qu’on pouvait jouer un maintien, sans pour autant le faire de la manière conventionnelle, c’est à dire: j’ai une petite équipe, j’ai un petit budget, donc je vais défendre bas et je vais procéder en contre-attaque. Ce qui peut marcher et s’avérer être la meilleure solution. Mais mettre ses idées, sa manière de concevoir le foot en pratique, sans y déroger, me plait, parce qu’on entend des techniciens avoir des discours ambitieux sur le plan du jeu et puis, sur le terrain c’est différent. Lui le dit et le fait. Et son équipe est capable d’aller bousculer à peu près tout le monde en Italie. »

Sorties de balle, possession…

Les phases de construction lente et les sorties de balle font le tour des réseaux sociaux depuis quelques mois. En Italie, on raccroche le projet de jeu de l’entraîneur de Sassuolo sous l’expression « De Zerbismo ». Les plus sceptiques y décèlent du narcissisme et un esprit peu compatible avec celui de la gagne. Les autres tentent l’approche pédagogique et félicitent l’Italien de 41 ans pour son ambition dans le jeu.

Les sorties de balle des Neroverdi sont hautement travaillées par De Zerbi et appréciées par le grand public. Les joueurs alternent les passes courtes, l’orientation sur les côtés, les appuis-remises, les changements de côté de sorte qu’ils réussissent à aspirer leurs adversaires avant de s’engouffrer dans le moindre espace laissé. Avec Manuel Locatelli, Maxime Lopez, Gian Marco Ferrari, Vlad Chiriches ou Filip Djuricic, Sassuolo a de très bons techniciens pour créer, orienter le jeu, dicter le rythme, confisquer le cuir et verticaliser au bon moment.

Maxime Lopez félicité pour son but face à la Fiorentina

Maxime Lopez félicité pour son but face à la Fiorentina

Maxime Lopez félicité pour son but face à la Fiorentina © ICON Sport

« D’un point de vue organisationnel et structurel, ce qui m’impressionne, c’est la capacité de son équipe à réussir ses sorties de balle en partant du gardien, à créer du déséquilibre chez l’adversaire dès cette phase de jeu, confirme Romain Péli. Surtout si l’équipe en face va chercher haut. Dans ce cas, Sassuolo se procure pas mal de situations dangereuses en éliminant ce pressing. D’un point de vue esthétique, c’est beau, déjà, mais aussi efficace. Il réussit à mêler les deux. »

La situation est tellement maîtrisée par les joueurs de Sassuolo que l’éducateur marseillais s’aperçoit que le rapport de force peut changer. « Une des premières réflexions en regardant un match de cette équipe, c’était qu’ils dégageaient tellement de confiance et de sérénité, que j’avais l’impression que c’était l’adversaire qui pressait les joueurs de Sassuolo, qui était en fait lui-même sous pression, en se disant ‘si on ne récupère pas le ballon, ils vont s’en sortir et on sera en danger.’ Les joueurs de De Zerbi semblent tellement convaincus par les idées et par les moyens d’arriver au résultat que ça devient dangereux pour l’équipe qui presse. Je trouve ça incroyable d’avoir réussi à inverser ce rapport de force. »

Olivier Dall’Oglio s’arrête lui sur la composition de l’effectif. « Ce qui m’intéresse, c’est aussi de voir quels profils de joueurs il a, analyse-t-il. On voit une base de joueurs techniques. C’est intéressant de voir jusqu’où il peut aller avec les éléments qu’il a à sa disposition. Par exemple, il a recruté Maxime Lopez, un joueur qu’on connait bien, un petit gabarit, technique. C’est un garçon qui est assez gagneur et qui est devenu titulaire à Sassuolo. » L’entraîneur breton tente également le comparatif avec son expérience personnelle et certains freins qu’il a pu rencontrer dans l’utilisation du ballon. « Il faut qu’on ait cette base là de joueurs techniques, sans aller chercher des grands techniciens car on ne peut pas le faire financièrement. Ils doivent être au point sur la passe et le contrôle de balle. Des fois, on s’aperçoit qu’on ne peut pas faire certaines choses car on est un peu limités. Je me souviens qu’à Dijon, il y avait des choses qui devenaient une prise de risque beaucoup trop importante. Par exemple demander à un joueur de faire une prise de balle propre, dos au but dans le rond central, alors qu’on savait qu’il ne pouvait pas le faire. Et parfois, c’est aussi une question d’intelligence de jeu avec des garçons qui n’ont pas le sens de la stratégie, qui manquent un peu de ressenti. »

La curiosité jusque dans les limites du De Zerbismo

En étudiant le jeu de Sassuolo, d’évidentes limites apparaissent. Il n’existe pas de système sans défaut et Roberto De Zerbi n’échappe pas à la règle. Olivier Dall’Oglio note la vulnérabilité des Neroverdi en phase de transition défensive. « Face à l’Inter et son bloc bas, l’équipe prend deux buts en contre sur des pertes de balle, se remémore l’entraîneur du Stade Brestois. Avec ce style de jeu, il faudrait avoir des défenseurs qui acceptent le un-contre-un avec plus d’efficacité, pour gagner plus de duels. Et peut-être que Sassuolo pourrait être dans les 4-5 premiers avec cette prise de risque. Je pense d’ailleurs qu’il l’assume complètement. »

Même son de cloche chez Romain Péli pour qui le style de Sassuolo met forcément en lumière ses défauts de manière plus prégnante. « Les limites apparaissent plus franchement dans une équipe avec une identité très marquée, qu’elle soit offensive ou défensive, explique-t-il. Pour une équipe très équilibrée, qui traverse ses matchs de manière plus neutre, c’est plus dur d’identifier des limites. Sassuolo a une identité très profonde avec ses sorties de balle sous pression à haut risque par exemple. Le risque de contre-attaque est clair car quand on met 5 ou 6 joueurs sur la ligne défensive adverse, on se découvre. Si on prend beaucoup de risque dans la sortie de balle, la perte est plus grave car plus proche du but. Ce sont ça les limites, qui peuvent aussi devenir des forces car si la sortie de balle est réussie, ça fait souvent situation de but derrière. »

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L’éducateur de la région marseillaise est persuadé d’une chose. Pour assumer un jeu ambitieux, il faut du courage, de la cohérence et un peu de croyance. « Il faut déjà être convaincu de l’efficacité de la méthode, parce que si ça ne marche pas de suite, que sur les trois premiers matches vous prenez des buts sur des sorties de balle ratées, il faut être suffisamment costaud pour ne pas perdre son groupe. C’est surtout une histoire de croyance. De Zerbi croit en l’efficacité de sa méthode. Comme d’autres entraîneurs, comme Bielsa par exemple. Ils pensent que c’est la meilleure manière de gagner un match, ils ne le font pas parce que c’est « joli ». Je pense qu’ils ont raison. Ce genre d’entraîneur est forcément inspirant. »

Alors que son nom est autant cité que souhaité par les supporters pour prendre la suite de Rudi Garcia à l’Olympique lyonnais, Roberto De Zerbi peut dormir sur ses deux oreilles en cas d’arrivée sur le territoire français. S’il n’est pas à douter qu’une partie de la France conservatrice du football lui sauterait à la gorge à la moindre perte de balle transformée en but encaissé, une autre moitié de l’Hexagone l’accueillerait les bras grands ouverts après avoir assisté à l’avènement du « De Zerbismo » dans une petite équipe italienne de province, présente sur le carte du football européen grâce à son jeu attrayant et spectaculaire.

Johann Crochet

https://rmcsport.bfmtv.com/football/serie-a/sassuolo-quand-de-zerbi-inspire-les-techniciens-francais_AV-202104300201.html

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