Il n’était pas dit que les adieux d’Arsène Wenger au public de l’Emirates, un public qui le chahuta souvent ces dernières années mais ne cessa jamais de le respecter et, pour la plupart des fans, de l’aimer malgré tout, seraient nécessairement réussis. N’y avait-il pas une part d’hypocrisie à voir un club célébrer ainsi un entraîneur auquel il avait montré la porte? Car Arsène n’entendait pas s’en aller ainsi. A tort ou a raison, il croyait en ce groupe de joueurs qui le laissa pourtant tomber si souvent cette saison encore.

Rappelons quand même qu’avec zéro points sur dix-huit possibles à l’extérieur, Arsenal est, des quatre-vingt-douze clubs de la League, celui qui présente le pire bilan depuis le premier janvier 2018. Sunderland inclus. Wenger, néanmoins, est demeuré fidèle à cette drôle d’équipe qui brille chez elle, au point d’y soutenir un rythme de presque-champion, et s’émiette partout ailleurs.

Dimanche encore, après un joli match de jubilé ou Burnley joua le rôle de victime ô combien consentante, il répétait sa conviction que ce groupe hétéroclite, où les espoirs qui plafonnent (Iwobi, Bellerin) côtoient les valeurs qui n’ont plus rien de sûr (Mustafi), les énigmes (Xhaka, Özil) et quelques rares satisfactions (Lacazette, eh oui, Aubameyang, Maitland-Niles, Elneny), avait les moyens d’être compétitif au plus haut niveau. Et cela, il entendait bien le prouver lui-même.

Grand chambardement

Au lieu de quoi le grand chambardement orchestré par le directeur exécutif Ivan Gazidis pour le compte de Stan et Josh Kroenke, hués les deux fois qu’ils apparurent sur le grand écran pendant la cérémonie des adieux, a eu raison de lui. Depuis plusieurs saisons déjà, Wenger ne jouissait plus du pouvoir quasi-absolu qui avait été le sien jusqu’au rachat du club par le milliardaire américain en 2011. Cette saison, le recrutement d’un nouveau chief scout, Sven Mislintat, et d’un directeur du football, Raul Sanllehi, avaient confirmé la marginalisation du manager en place depuis vingt-deux ans.

Aussi, oui, de ce côté, il y avait bien une part de faux-semblant dans la transformation de l’Emirates en une sorte de tapis rouge pour l’homme sans lequel il n’aurait pu être construit; mais une part seulement, tout compte fait négligeable au vu de à quoi on assista sous un soleil qui faisait penser à celui qui brillait lorsque Tony Adams marqua contre Everton en 1998, ou Ray Parlour et Freddie Ljungberg à Cardiff en 2002.

Le premier, qui déteste ce genre d’événements, était absent, le second faisait partie d’un petit groupe d’Invincibles et de ‘légendes’ venues saluer leur ancien boss. Thierry Henry n’en était pas, envoyé assister à la remise du trophée de la Premier League à Manchester City par son employeur Sky, une absence qui fit et fera beaucoup jaser.

Le match du salut à Sir Alex

Qu’importe. Les fans étaient bien là, eux, la communion eut bien lieu et, une fois de plus, Wenger fit preuve de son extraordinaire talent de discoureur public, sans notes, trouvant les mots justes qu’on ne trouve que quand on parle vraiment du coeur. Quand il dit, tout simplement, ‘I will miss you’, plus de cinquante mille gorges se serrèrent, parce que lui aussi, il va nous manquer. Pas seulement aux fans des Gunners, et pas seulement au football anglais. Il manquera au football tout entier qui, en l’espace de trois jours, a vu se clore une ère, un âge du football dans lequel certaines valeurs de fidélité, de loyauté, une certaine idée du jeu aussi, et du rapport entre acteurs et spectateurs continuaient de servir de fondement à notre sport – malgré les dérapages et les excès de toutes sortes.

La phrase la plus poignante de la brève allocution de Wenger avait été la première, le salut au vieil ennemi devenu un proche et un confident, se battant alors contre la mort à l’hôpital royal de Salford. Le match de ses adieux devenait ainsi également le match du salut à Sir Alex, le géant foudroyé par une hémorragie cérébrale. D’un coup, d’un seul, on avait pris conscience que tout un pan de l’histoire du football anglais était parvenu à son terme.

Ferguson, Wenger, on pouvait les croire immortels

Ce n’est pas seulement que la Premier League fut en quelque sorte l’invention de ces deux hommes. Pendant presque dix ans, de 1997 à 2005, ils se partagèrent tous les titres de champion et nous offrirent un mano a mano parfois brutal – mais tellement prenant. Le championnat d’Angleterre, ce fut Arsène contre Fergie et, par conséquent, Vieira contre Keane, Henry contre van Nistelrooy, Giggs contre Bergkamp.

Leur contribution alla bien au-delà du simple spectacle de leur lutte renouvelée de match en match, dont quelques-uns furent des plus mémorables (les deux victoires d’Arsenal à Old Trafford, en 1998 et 2002, les raclées 6-1 et 8-2 passées aux Gunners par United en 2001 et 2011, nous avons tous nos favoris dans cette longue liste). Ferguson et Wenger étaient les maîtres de leurs destins. Ils étaient aussi devenus les incarnations de leurs clubs. Ils étaient les garants de leur pérennité, les gardiens de leurs valeurs, au point qu’on pouvait les croire immortels.

Ce week-end si mélancolique nous a rappellé qu’ils ne l’étaient pas, et qu’il n’était pas certain non plus que ce qu’ils avaient représenté, avec leurs qualités et leurs défauts, pût survivre à leur départ. On dira que Sir Alex avait tiré sa révérence depuis presque cinq ans déjà: mais sa simple présence dans la loge présidentielle de Old Trafford changeait tout – en ce sens qu’elle indiquait que quelque chose de crucial n’avait pas changé. Et s’il avait pris grand soin de ne pas commettre l’erreur de Sir Matt Busby, qui continua à tirer les ficelles de son club après sa ‘retraite’, avec des conséquences catastrophiques, Ferguson demeurait une voix écoutée à Old Trafford, un garant du respect de certaines traditions, de ce fouillis d’attitudes, de souvenirs, d’affinités et de rivalités, de détails qui échappent aux fidèles d’autres chapelles qui composent l’identité d’un club.

Quelque chose de profondément humain à quoi se raccrocher

Or s’il est bien un défi pour le football d’aujourd’hui, c’est bien celui de la préservation de l’identité de clubs devenus entreprises globales ou jouets de milliardaires et de nations en quête de soft power. Wenger et Ferguson étaient issus du football d’avant, ce qui ne les avait pas empêché d’être les architectes de sa transformation, y compris sur le plan économique. Malgré tout, tant qu’ils étaient là, on avait quelque chose de profondément humain à quoi se raccrocher.

Cet élément n’a évidemment pas disparu comme cela, parce que deux hommes se sont retirés de la scène. Cette osmose, on peut la sentir entre Jürgen Klopp et Liverpool (un club dont le ‘sens identitaire’ est peut-être le plus puissant en Angleterre, et dont la popularité globale est d’ailleurs fondée sur cette particularité). Il se peut que Mauricio Pochettino accomplisse quelque chose de semblable à Tottenham; et nous avons Sean Dyche à Burnley. Rafa Benitez à Newcastle…Darren Moore à West Brom! Ces entraîneurs qui parviennent à distiller ce qui ‘fait’ leur club existent toujours. Mais ma crainte est qu’ils soient la queue de la comète – et les comètes disparaissent du ciel. Avec Wenger et Ferguson, on avait le sentiment qu’elles seraient toujours là. Aujourd’hui, on a pris conscience que ce sentiment était une illusion.

http://rmcsport.bfmtv.com/football/philippe-auclair-wenger-ferguson-la-fin-d-une-ere-1439959.html

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