Nous autres journalistes et fans sommes coupables de la même faute: parlant de football, nous utilisons trop souvent un vocabulaire qui, quand on y réfléchit deux secondes, n’a rien à voir avec le sport et, dans un monde un peu plus sain, n’aurait rien à y faire. On peut ‘se battre comme des chiens’, à la limite – mais ça ne veut pas dire qu’on va ‘faire la guerre’. Tous, dans le feu de l’action – aie, ça y est, j’ai déjà dérapé -, nous nous laissons rattraper par des poncifs du genre ‘les soldats de X’ et ‘les troupes de Y’, alors qu’on peut avoir du courage à revendre sans être un ‘guerrier’ pour autant. Le maillot d’un club n’est pas l’uniforme d’un commando. ‘Gladiateur’, peut-être, puisque ce sont toujours les Jeux du Cirque qu’on nous propose; encore que le public n’aie pas le droit de tourner le pouce vers le bas pour demander la mise à mort du combattant vaincu. Encore qu’au train où vont les choses…
L’hyperbole ne guette pas que dans l’usage de métaphores militaires. Je me suis entendu parler hier de la ‘tragédie’ que partagent aujourd’hui les supporteurs d’Arsenal et leur manager. Le mot était des plus déplacés. Une tragédie, c’est la mort de Davide Astori. C’est sa petite fille de deux ans que son papa ne bordera plus. C’est aussi les fans et les joueurs de la Fiorentina qui ont perdu leur capitaine, tous ceux qu’un être aimé a quitté si brutalement. Ce n’est pas un entraîneur hier adulé, aujourd’hui vilipendé, insulté, et même traîné dans la boue.
Non, ce qui se passe à Arsenal, ce qui tourneboule tous ceux qui tiennent ce club à coeur (et qui ne sont pas que ses supporters – voir les réactions de Gary Neville et Jamie Carragher, entre autres), ce n’est pas une ‘tragédie’. C’est une histoire triste, pathetic au sens où l’entendent les Britanniques. Une histoire dont la conclusion à venir est connue de tous depuis belle lurette, y compris de son acteur principal, quoi que ses récentes déclarations puissent faire penser. J’en ai parlé si souvent sur l’antenne de RMC (et quelques autres) et ici même qu’il ne servirait à rien de rabâcher ce qui a déjà été rabâché mille fois. Fin de cycle. Time is up. Etc, etc.
Mais, grands dieux, qu’on en finisse. Que cette sorte de longue agonie vécue en public s’achève aussi rapidement, paisiblement que cela est possible, qu’on en finisse de cette sorte d’acharnement thérapeutique qui n’a aucun sens, aucune logique, et ne fait que trahir les carences de gouvernance d’un board absentéiste et incompétent. Personne ne mourra à la fin, d’ailleurs – une fois de plus, la vilaine habitude est revenue! Chacun ira son chemin. Mais ce serait bien si c’était en se faisant un signe de la main ou en s’envoyant un baiser plutôt qu’en récriminant et en lançant des insultes, non?
Car Wenger mérite autre chose que ce qu’il vit aujourd’hui. Je le connais suffisamment pour être sûr qu’il souffre dans sa chair, car il est un être humain que le tourment guette en sachant tenir une victime de choix. Il est aussi têtu comme un âne, susceptible jusqu’à la quasi-paranoia, intransigeant, exaspérant. Ça, et le contraire.
Il est aussi – après Herbert Chapman – le plus grand entraîneur que l’un des plus grands clubs anglais aie jamais connu, un futur statufié (on en a statufié pour beaucoup moins que ça…), en passe d’être évacué manu militari de son home spirituel, qu’il n’a pas peu contribué à bâtir, par une porte si étroite que la souris de l’expression consacrée ne s’y faufilerait pas.
Quand j’entends dire que des supporters des Gunners en sont venus aux mains dans leur tribune de l’Amex Stadium…quand je vois le fiel qui se déverse de pseudo-fans qui ont oublié les titres, les moments de gloire, le jeu qu’on leur a offert – à un prix élevé, je vous l’accorde -, j’en aurai presque l’envie de jouer les contradicteurs, de revenir sur l’avis qui est le mien depuis trois ans maintenant, à savoir que la boucle était bouclée, que Wenger avait, expression détestable, ‘fait son temps’ (mais à Arsenal seulement – quel sélectionneur il ferait!). Cette envie passe vite. Mais j’imagine que beaucoup d’entre vous l’auront ressentie comme moi. Un peu de respect ne serait pas un luxe.
Aussi émets-je un voeu. Je n’attends rien, absolument rien de Stan Kroenke et de son fils. J’attends encore moins d’Alisher Ousmanov! J’attends de Wenger qu’il tienne, dès aujourd’hui, cette ‘réunion avec lui-même’ qu’il a coutume de faire au terme de chaque saison, comme Damien Comolli l’a raconté dimanche sur SFR. Qu’il annonce une démission? Non. Qu’il annonce simplement, le plus vite possible, que les matchs à venir en 2017-18 seraient ses derniers avec le club qu’il aime plus que tout autre et qu’il a transformé.
S’il faisait cela, je vous prédis plusieurs choses. Que le public de l’Emirates retrouverait sa voix. Qu’il n’y aurait pas un siège laissé vide comme ce fut le cas lors de la venue de Manchester City la semaine passée. Que les joueurs se rebelleraient. Et qu’Arsenal nous réserverait peut-être encore une ou deux jolies surprises d’ici la fin du mois de mai.
Mais cela, il ne le fera pas. Nous le savons tous. Alors, non, ce n’est pas une tragédie, juste une histoire triste. Le dernier acte en est si long, si prévisible, si monotone que, un à un, les spectateurs quittent la salle, et que le rideau risque de tomber dans un théâtre vide.
Wenger vaut tellement mieux. Peut-être pas un rappel, mais au moins de sortir sous les applaudissements d’une salle comble.
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