Sauf surprise de dernière minute, l’Argentin Jorge Sampaoli (60 ans) va devenir dans les prochains jours le nouvel entraîneur de l’Olympique de Marseille. Connu pour son tempérament de feu, et souvent comparé à Marcelo Bielsa, qu’il idolâtre, l’ancien coach du Chili, de Séville ou de l’Argentine a su se construire ces deux dernières décennies un style clairement identifiable. Avec ses forces et ses faiblesses. Et ses excès.
Des bras musclés, tatoués, un polo XXS, un pantalon de survêtement en toute circonstance, et cette bouche, qui crie, encore et encore, après ses joueurs, après l’arbitre, après les dieux du football ou qui veut l’entendre. Malgré son 1,67m et ses 60 ans, Jorge Sampaoli passe rarement inaperçu sur un banc de touche. Mais outre cette exubérance, l’entraîneur argentin, qui doit débarquer dans les prochains jours à l’OM, a également su se faire remarquer pour son style très particulier depuis ses débuts au Pérou au début des années 2000.
Pressing, pressing, pressing
3-5-2, 4-4-2, 4-2-3-1, voire 3-6-1… Il est impossible de résumer Jorge Sampaoli à un système, tant le technicien argentin aime changer la disposition de son équipe, parfois au sein d’un même match. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une patte aisément reconnaissable, et des principes de jeu qui lui sont chers. A commencer par le pressing. Quelles que soient les époques, les équipes de Sampaoli ont toujours cherché à récupérer le ballon le plus vite possible, quitte à aller chercher l’adversaire très, très haut sur le terrain. Ce qui demande beaucoup d’engagement, un terme souvent employé par le coach, mais aussi une grande débauche d’énergie.
« Il va exiger beaucoup d’agressivité après la perte de balle, explique Adil Rami, qui a évolué sous sa direction à Séville en 2016-2017. Je crois qu’on avait entre 5 et 7 secondes pour récupérer le ballon dans le camp adverse. Après chaque perte de balle, il veut que personne ne tourne le dos au jeu. Il n’y a pas de replacement: il veut des pitbulls. » Autant dire qu’il faut être prêt sur le plan athlétique. Pour les matchs, mais aussi pour le reste de la semaine, avec des séances pour le moins intenses. « Souvent, même à l’entraînement, il gueule, s’amuse Rami. Enfin ce n’est pas le bon mot, mais il pousse, il encourage tout le temps à avoir cette grinta, ce côté où il ne faut jamais baisser les bras. »
Dans une interview au quotidien chilien La Tercera en 2015, alors qu’il était sélectionneur de la Roja, Sampaoli disait d’ailleurs comprendre les craintes qu’avaient les entraîneurs à voir leurs joueurs partir en équipe nationale sous ses ordres. « Avec moi, ils s’entraînent d’une autre façon, avec un rôle différent de celui de leurs équipes respectives, reconnaissait-il. Ils doivent s’adapter à des méthodes totalement différentes entre le club et la sélection, et inversement. Il y a un syndrome qui nuit aux uns et aux autres. »
Jorge Sampaoli avec le Chili en 2014 © AFP
Un disciple de Bielsa, pas un sosie
Parce que ses joueurs ont tendance à courir sur le pré comme des possédés, sans compter leurs efforts, Jorge Sampaoli est souvent comparé à Marcelo Bielsa. Ce n’est absolument pas un hasard. Le premier voue un culte au second, et l’a énormément observé en début de carrière. « Je l’espionnais, avouait-il dans une interview à So Foot il y a quelques années. J’allais voir tous ses entraînements à Newell’s, j’écoutais toutes ses conférences, la manière dont il transmettait ses valeurs et l’idée qu’il avait du foot, la volonté de toujours faire le jeu. J’ai ressenti une adhésion totale. (…) J’enregistrais les matchs de Newell’s, j’analysais certaines phases de jeu sur vidéo pendant des heures, je décortiquais tout. Ses entraînements aussi. Je passais quatorze heures par jour à penser à Bielsa. »
Cela a évidemment influé sur son style et ses méthodes. Outre le pressing tout-terrain, outre l’exigence quotidienne dans le travail, Sampaoli aime lui aussi voir ses équipes relancer court, au pied, depuis le gardien. Et il s’appuie énormément sur ses latéraux pour repartir de l’avant. « Entre ‘ne pas être assez grand, mais bien jouer au sol’ et ‘être grand mais ne pas bien jouer au sol’, nous choisirons toujours la première option, disait-il encore à la Tercera en 2015. Nous préférons avoir des joueurs qui ont de bons pieds. »
Fan de travail vidéo, dans des proportions moindres que Bielsa, Sampaoli avait aussi comme El Loco l’habitude de faire « espionner » ses adversaires. « Je vois le football comme la guerre, lançait-il à son époque chilienne. Chaque détail trouvé nuit à l’adversaire. » A l’inverse, il déteste quand son travail est rendu public. Quitte à en devenir presque parano. « Je suis méfiant envers tous ceux qui veulent découvrir ce que je fais, avoue-t-il. Il y a des entraîneurs que ça ne gêne pas, moi si. Je ne m’énerve pas contre le journaliste qui découvre quoi que ce soit, je m’énerve contre les miens qui doivent protéger l’équipe. C’est informer l’adversaire, chose que nous ne voulons pas. Pour moi, c’est une obsession. »
Mais Bielsa et Sampaoli ne sont pas des sosies, loin de là. Déjà, le futur ex-coach de l’Atlético Mineiro privilégie davantage la possession que celui de Leeds, au style plus direct. Ce qui n’est pas toujours un gage de qualité ni d’efficacité: quand il avait récupéré la balle, son Séville 2016-2017 – séduisant en début de saison, moins à la fin – donnait parfois l’impression de ne pas savoir quoi en faire. « Il a du Bielsa en lui dans sa manière de prendre des risques avec des un contre un derrière, avec beaucoup de travail athlétique sur le terrain, mais il y a aussi du Guardiola, observe Rami. Quand je vois jouer Manchester City, je me dis que c’est ce qu’on faisait avec Séville. Ça joue haut, ça harcèle. »
Sampaoli est également plus pragmatique que Bielsa: si le score est en sa faveur, il est tout à fait disposé à « verrouiller » en fin de partie. Chose quasiment inimaginable pour l’ancien chouchou du Vélodrome. Comme expliqué précédemment, Sampaoli n’hésitera pas non plus à changer de système. « On devait connaître deux ou trois systèmes par cœur en tant que joueurs pour pouvoir changer en plein match », témoigne Rami. Parfois jusqu’à trouver le bon, parfois jusqu’à se perdre dans ses réflexions, à s’emmêler les pinceaux, comme avec la sélection argentine avant et pendant le Mondial 2018 – le plus grand fiasco de sa carrière. « On ne savait jamais ce qu’il voulait, taclait Leandro Paredes en juillet 2019 dans les colonnes d’Olé. Sampaoli était très changeant, il n’était pas clair. Parfois il te disait de faire quelque chose et quand tu le faisais, il te demandait pourquoi tu l’avais fait. Je ne savais pas vraiment ce qu’il voulait… » Mais beaucoup plus que dans leur football, c’est dans leur attitude que Bielsa et Sampaoli sont différents.
Jorge Sampaoli avec l’Argentine en 2018 © AFP
Docteur Jorge et Mister Sampaoli
Là où Bielsa aime mettre une certaine distance avec ses joueurs, en adoptant souvent un ton professoral, Sampaoli se veut plus chaleureux. Ou plus chaud, c’est selon. « Il est tout le temps à 100%, mais les joueurs l’apprécient parce qu’en dehors il est beaucoup plus reposé, il est très attachant d’un point de vue humain », assure Adil Rami. « Il a ce truc, tentait de décrire Samir Nasri l’an passé dans un live Instagram avec l’éditorialiste Walid Acherchour, en retraçant sa période andalouse. Tu vois un entraîneur petit, musclé, rasé, tatoué, en survêtement, il ne fait que marcher sur le bord de touche… C’est de la bombe ce mec, c’est de la bombe! On avait une relation de dingue. Je venais d’avoir un chien et je voulais rentrer voir ma famille mais je ne pouvais pas emmener le chien. Il m’avait dit ‘ramène-moi ton chien, je le garde à la maison’. C’est une bombe de mec. Quand il t’aime bien, c’est un régal. »
Quand il aime un peu moins, ce peut être compliqué… « Il ne me saluait pas, ne me demandait pas comment ça allait, ni comment je me sentais, expliquait l’attaquant de l’Albiceleste Paulo Dybala après la Coupe du monde en Russie. C’est la première fois que ça m’arrivait dans ma carrière. » C’est sans doute ce qui a contribué à l’isolement du technicien, lâché par à peu près tout son groupe. Ça, et son côté explosif.
Personnage pour le moins expressif, entraîneur sanguin capable de prendre trois cartons par match pour contestation (on exagère à peine), Sampaoli ne mâche pas ses mots quand il est attaqué. Toujours lors du fameux Mondial 2018, après un nul inaugural contre l’Islande (1-1), l’idole Diego Maradona le descend publiquement. « Je crois qu’en jouant ainsi, Sampaoli ne peut pas rentrer en Argentine, c’est une honte », lance l’ancien numéro 10. Réponse du sélectionneur dans une interview lunaire à La Nacion: « L’Islande? Je n’ai pas été surpris. C’est le pays le plus égalitaire du monde, ils ont cherché le nul. Je mets un 4 (sur 10) à l’équipe, un 8 pour moi. Je vais faire des changements au prochain match, parce que quand je fais des changements, je suis bon. »
Dans un autre registre, Sampaoli – déjà à la tête de l’Albiceleste – s’était « illustré » quelques mois plus tôt pour un dérapage lors d’un contrôle policier, alors qu’il était ivre. « Imbécile, tu gagnes 100 pesos par mois », avait-il lâché à l’agent… sans se savoir filmé. Trois jours plus tard, le technicien présentera ses excuses dans un communiqué, mais il souffrira par la suite de cette image écornée.
Sur son bras gauche, ce fan de rock s’est fait tatouer il y a des années les paroles d’un morceau du groupe Callejeros: « Je n’écoute pas et j’avance, car une grande partie de ce qui est interdit me fait vivre. » C’est un credo, parfois pour le meilleur, parfois non.
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