Entrepreneur, animateur télé, chanteur, acteur, député et ministre… Bernard Tapie, disparu ce dimanche à l’âge de 78 ans, a multiplié les expériences et les casquettes tout au long de sa vie. Egalement passionné de football, il restera à jamais lié à l’histoire de l’Olympique de Marseille, lui l’unique président d’un club français vainqueur de la Ligue des champions.
Dès l’annonce de sa maladie, en septembre 2017, il est une ville de France qui a tout particulièrement souhaité apporter son soutien à Bernard Tapie : Marseille. L’homme, disparu ce dimanche à l’âge de 78 ans, était pourtant de base un Titi parisien, né dans le 20e arrondissement de la capitale en janvier 1943. Mais sur le Vieux-Port, nombreux sont ceux qui le considéraient depuis plus de trente ans comme l’un des leurs. Et pour cause. Le ‘Boss’, comme on l’appelle en Provence, a tout simplement redonné vie à la fin des années 80 à une institution de la cité phocéenne: son club de football, son âme, l’Olympique de Marseille.
>> Mort de Bernard Tapie : les infos en direct
Du vélo au ballon, pour un franc symbolique
Au milieu des années 80, Bernard Tapie n’a pas encore rencontré François Mitterrand, il ne s’est pas encore lancé dans la politique, mais il a déjà eu plusieurs vies. L’éphémère chanteur et pilote de course, devenu entrepreneur à succès, s’est spécialisé dans la reprise et la relance de sociétés en difficulté, comme Terraillon, Look, ou Wonder.
« Faire de sa spécialité le redressage de boîtes malades, c’est du sport, expliquera-t-il des années plus tard. Et moi, j’aime le sport. » A tel point qu’en 1984, Tapie monte l’équipe cycliste La Vie Claire, du nom d’une compagnie dont il a fait l’acquisition. Sous son giron, Bernard Hinault s’offre un dernier doublé Tour de France-Giro en 1985. En 1986, c’est un autre de ses poulains, l’Américain Greg LeMond, qui s’apprête à triompher sur la Grande Boucle.
Cette année-là, Tapie se rapproche des sommets. Et cette année-là, l’OM est en souffrance. Après des années 70 florissantes (2 titres de champion de France, 2 Coupes de France), surtout dans leur première partie, le club olympien traîne depuis deux ans en bas de l’élite. Il n’a plus touché au moindre trophée depuis 1976, et peine à se remettre d’un passage de quatre saisons en D2. Gaston Defferre, le maire de Marseille, et son épouse Edmonde Charles-Roux, décident alors de prendre les choses en main en proposant à Bernard Tapie de racheter le club pour un franc symbolique. Auréolé de sa réussite dans le vélo, Tapie débarque à Marseille et devient président le 12 avril 1986.
Un titre, puis deux… et la Ligue des champions
Malgré les difficultés financières du club, l’homme d’affaires, fidèle à son ambition devenue légendaire, n’a qu’une chose en tête: faire de l’OM le meilleur club d’Europe. Un objectif totalement fou pour les uns, parfaitement réaliste pour les autres. Surtout, cet appétit démesuré de succès fait rêver Marseille, une ville qui n’attendait que ça, et qui adhère totalement au projet de ce Parisien descendu sur la Canebière. Pour que le songe devienne réel, Tapie met un terme aux problèmes de trésorerie et injecte des sommes colossales pour l’époque afin de recruter de grands espoirs et des stars françaises et internationales. D’abord Giresse, Tigana, Amoros, Papin, Förster. Puis Allofs, Francescoli, Mozer, Cantona, Boli, Deschamps, Desailly, Barthez, Pelé, Waddle…
Après une première saison réussie (2e de D1 et finaliste de la Coupe de France en 1987), l’OM de Tapie atteint les demi-finales de la Coupe des Coupes la saison suivante puis entame une ère de domination sans partage sur le football hexagonal en 1989 (titre et Coupe de France). Suivront trois autres titres de champion de France et la finale de Coupe des clubs champions 1991 de Bari, perdue contre l’Etoile Rouge de Belgrade aux tirs au but (0-0, 5-3 tab).
Deux ans plus tard, le 26 mai 1993, sous la houlette du ‘‘sorcier belge’’ Raymond Goethals, c’est l’apothéose avec la victoire en finale de la première Ligue des champions (1-0). A Munich, sur un coup de tête de Basile Boli en fin de première mi-temps, l’OM mate le grand Milan AC et rentre dans l’histoire du football français, en devenant à jamais le premier (et toujours le seul) club hexagonal à soulever la C1. Son président acquiert un statut unique.
« C’est de loin ma plus belle semaine dans le sport, confiait Bernard Tapie dans une interview à RMC Sport en 2013, pour les 20 ans du sacre. Le premier titre avec Marseille (en 1989, donc) était sublimissime. (…) Mais celle victoire-là, c’est le lendemain qui m’a marqué, quand on s’est posé à Marignane. Tout le long de la route, il y avait des gens. Ça se chiffrait en centaine de milliers. Je ne parle même pas de l’arrivée au Vélodrome. Quand on voit qu’on a fait plaisir à tous ces gens-là, alors on sait qu’on reste dans la mémoire. »
L’affaire VA-OM
Ce triomphe européen marque pourtant le début de la fin pour l’OM de Tapie. Entrepreneur aux méthodes parfois douteuses, mais aussi député des Bouches-du-Rhône depuis 1989 et éphémère ministre de la Ville (1992-1993) du gouvernement Bérégovoy, le patron de l’Olympique de Marseille est rapidement rattrapé par un scandale au retentissement national: l’affaire VA-OM. Un dossier qui va précipiter sa chute.
Le 20 mai 1993, soit six jours avant la finale de Munich, l’OM se déplace à Valenciennes pour un match de championnat. Sans doute dans l’optique de ménager leurs joueurs, à la lutte aussi pour le titre de champion de France, les dirigeants marseillais proposent de l’argent à certains membres de VA – en difficulté en D1 – afin que les joueurs nordistes lèvent le pied pour permettre à Marseille de préparer sereinement sa finale européenne tout en empochant tranquillement les points de la victoire (1-0). La tentative de corruption est révélée le 22 mai par l’intermédiaire du défenseur valenciennois Jacques Glassmann.
Dans les semaines suivantes, lors de l’enquête, Bernard Tapie ment sur la teneur de son agenda et tente de suborner le témoignage de Boro Primorac, l’entraîneur de VA. Rapidement, la tentative de corruption est avérée. Quelques mois plus tard, l’OM, qui a perdu son titre de champion de France 1993, est exclu de la Ligue des champions par l’UEFA puis rétrogradé en D2 à l’issue de la saison 1993-1994. Bernard Tapie, lui, perd sa licence de dirigeant et quitte la présidence de l’OM en décembre 1994. Pape Diouf, autre ancien président respecté, aura une belle formule à ce sujet: « Tapie voulait gagner dans le sport qui comporte par définition des aléas, en éliminant ces aléas ».
Endetté à hauteur d’environ 100 millions de francs à l’arrivée de Tapie, l’OM compte plus de 400 millions de dettes quand « Nanard » quitte le navire phocéen. Le dirigeant passera par la case prison, mais reste malgré tout très populaire à Marseille. C’est même l’équipe de Valenciennes qui subit la vindicte populaire dans les années qui suivent, pour avoir été à l’origine du scandale.
Un comeback raté
Il était écrit que l’histoire de Bernard Tapie avec l’OM ne pouvait pas s’achever ainsi. Sevré de football pendant six ans, l’ancien boss n’en demeure pas moins un amoureux éperdu de Marseille et ne se prive pas de dire régulièrement ce qu’il pense de l’actualité de « son » club. Proche de Robert Louis-Dreyfus, le patron d’Adidas (dont Tapie a aussi été le propriétaire) qui a racheté l’OM fin 1996 après deux années de purgatoire en D2, Bernard Tapie réintègre le club en 2001 alors que les mauvais résultats s’enchaînent et que les entraîneurs se succèdent.
Adoubé par la cité toute entière ainsi que par les instances nationales du foot, ce retour est officialisé en avril par RLD, sous la pression des supporters. Tapie revient en tant qu’actionnaire associé, responsable de la partie sportive. Une expérience qui ne durera qu’un an et qui se terminera sur un échec (9e de D1). Malgré les arrivées de joueurs d’expérience tels que le champion du monde français Frank Leboeuf ou le Belge Daniel Van Buyten, la magie n’opère pas. Ou plus.
Une popularité jamais démentie
La honte de l’affaire VA-OM et le loupé de 2001-2002 n’écornent pourtant en rien l’image de Bernard Tapie à Marseille. Pendant dix ans, son nom revient régulièrement sur le devant de la scène. Si un retour à l’OM est impossible durant l’ère Louis-Dreyfus, l’homme d’affaires réussit à s’implanter – encore – dans la cité phocéenne en 2012 avec le rachat du journal La Provence.
Sa popularité marseillaise, Bernard Tapie a pu la mesurer au moment d’entamer en septembre 2017 son combat contre la maladie, le plus dur de sa vie. Dès l’annonce de son cancer de l’estomac, les supporters marseillais multiplient les marques d’affection envers le « Boss ». Notamment le 25 septembre, lors d’un match face à Toulouse. Une rencontre au cours de laquelle les « Tapie, Tapie, Tapie! » et les banderoles se multiplient dans les tribunes (« Bernard à jamais le premier », « Soutien au Boss », « Courage Monsieur Tapie », « Courage Nanard, on est avec toi »).
Dans les médias, les joueurs de l’OM, ceux de l’époque mais aussi les nouveaux qui ne l’ont jamais côtoyé, donnent aussi de la voix, témoignant de l’amour des Marseillais pour leur ancien président. « Les gens l’aiment vraiment beaucoup, on s’en rend compte quand on va en ville… On nous parle tout le temps de lui », explique ainsi Florian Thauvin en septembre 2017.
Ému aux larmes, Tapie avait commenté ces marques de sympathie lors d’une émission télé au côté de Laurent Delahousse: « Qu’est-ce que voulez ressentir quand vous avez 50.000 mômes qui vous donnent leur amitié? Ça veut dire que vous avez servi à quelque chose, glissait-il. C’est la plus belle cure de chimiothérapie que j’ai jamais reçue. » Et une déclaration d’amour pour l’éternité.
https://rmcsport.bfmtv.com/football/mort-de-bernard-tapie-avec-l-om-et-le-sport-une-grande-histoire-d-amour_AV-202110030055.html