João Tralhão, on vous avait quitté en janvier 2019, après votre départ de Monaco où vous étiez l’adjoint de Thierry Henry. Vous voilà entraîneur principal du Vilafranquense, au Portugal, depuis quelques jours… 

Après avoir quitté Monaco, j’ai voulu m’arrêter, souffler, prendre le temps de la réflexion. Je venais de passer vingt ans intenses, sans interruption. Lorsqu’on est entraîneur, il faut parfois marquer un temps d’arrêt pour comprendre où on en est. Quand Thierry Henry a décidé d’aller au Canada (où il entraîne l’Impact de Montréal, depuis novembre 2019, ndlr), je n’ai pas pu le suivre, pour des raisons personnelles. Avec beaucoup de regrets. J’ai donc commencé à chercher un nouveau défi. J’ai eu beaucoup de possibilités, ce qui me rend fier, mais il y a eu cette pandémie. Compte-tenu de ce contexte, j’ai estimé que l’offre qui avait le plus de sens était celle du Vilafranquense (D2 portugaise). J’ai été très honoré qu’ils me fassent cette proposition et je suis très enthousiasmé par ce projet.  

Comment vous êtes-vous connus avec Thierry Henry? 

Je passais mon diplôme UEFA A, au pays de Galles, et j’ai passé l’UEFA pro dans la foulée. C’est là que j’ai connu Thierry. Très vite, on s’est lié d’amitié, à travers nos idées. Je me suis beaucoup retrouvé dans sa philosophie de jeu et je pense que c’était réciproque. Il y a eu une alchimie amicale et professionnelle. C’est de là qu’est venue son invitation pour le suivre à Monaco, ce qui a été un honneur pour moi. Ce fut une décision facile pour moi, pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est Thierry Henry, une personne que j’estime beaucoup, que j’admire, avec qui j’ai une profonde amitié. Ensuite, parce que travailler à Monaco est un défi qui ne se refuse pas. 

Quel souvenir gardez-vous de votre passage à l’ASM qui n’aura duré qu’un peu plus de trois mois? Ressentez-vous une forme d’amertume? 

Rien de ça. Tout a été très intense. Je vivais ASM 24 heures par jour. C’est le moment de ma vie où j’ai le moins dormi. Nous débarquions en cours de route et on avait beaucoup à faire en peu de temps. On donnait tout, tout le temps. Même si les résultats n’ont pas été ceux qu’on espérait, on a essayé de poser des bases. Bien sûr qu’on on est parti frustré, parce qu’on est parti plus tôt que ce qu’on espérait, mais avec le sentiment d’avoir tout donné pour le club. Ce que je garde de mieux de Monaco, ce sont les gens du club, les joueurs. J’ai encore des contacts avec beaucoup de joueurs de cette équipe. Je garde une profonde affection envers ce club et les personnes qui le composent. Je garderai toujours ce lien émotionnel avec l’AS Monaco. J’ai appris à l’aimer en peu de temps. 

Thierry Henry a eu une relation parfois tendue avec certains médias français. Avez-vous ressenti cela, vous aussi? En avez-vous parlé avec lui? 

Personne ne peut mieux parler de ce que Thierry ressent que Thierry lui-même. Ce n’est donc que mon interprétation. Thierry avait une relation émotionnelle avec Monaco, qui était son club formateur, celui où il a débuté comme joueur professionnel. Thierry est l’un des plus forts symboles du football français. On attendait de lui en tant qu’entraîneur ce qu’on lui avait demandé en tant que joueur. Mais la vie d’entraîneur n’est pas celle de joueur. Je ne défends pas Thierry, parce qu’il n’en n’a pas besoin mais, à plusieurs reprises, j’ai trouvé qu’on ne différenciait pas le joueur qu’il avait été, de l’entraîneur qu’il était devenu. On a manqué de tolérance parfois, à son encontre. La pression des médias existe partout mais la critique a parfois été excessive. Pour avoir été près de lui à ces moments-là, je l’ai toujours trouvé très conscient de la mission qui était la sienne, du travail qu’il réalisait.

Maintenant que vous êtes entraîneur principal, vous aimeriez travailler à nouveau avec lui? 

Je vis le football jour après jour. J’ai débuté il y a 20 ans, à la base, à l’âge de 20 ans. J’ai grandi, j’ai évolué, j’ai construit mes idées, ma philosophie et je vis le football ainsi, au jour le jour. Aujourd’hui, je suis très enthousiaste avec le projet du Vilafranquense, comme j’étais très motivé quand j’avais rejoint Monaco. A l’avenir, j’aurai besoin d’être désiré, motivé pour avoir du succès. On verra, donc.  

Ça fait deux fois que vous parlez de « philosophie ». Vous disiez partager la même que Thierry Henry. Si vous deviez la définir… 

L’audace! J’aime aborder le jeu de façon audacieuse. Quand on parlait de football, on commençait par tenter de trouver les espaces pour attaquer l’adversaire. Quand on discutait sur le match ou les entraînements, la première chose à laquelle on pensait, une grande partie de nos conversations, portaient sur comment attaquer notre adversaire. Je me suis très vite identifié à cette philosophie. En tant que personne, j’aime « attaquer », aller de l’avant, avoir le contrôle du jeu, du ballon, et en tant qu’entraîneur c’est la même. Thierry aussi. On a vite compris qu’on avait les mêmes idées, la même philosophie: attaquer, avoir le contrôle du jeu, faire en sorte d’avoir plus le ballon que l’adversaire…  

Pensez-vous que cette philosophie offensive est adaptable au football français? N’est-il pas trop « conservateur » pour ce genre d’idées? 

A mon sens, le football français est l’un des championnats les plus intéressants et stimulants sur cette question. Une philosophie offensive nécessite une équipe avec beaucoup d’équilibre au niveau défensif. Pourquoi? Parce qu’en France, même en Ligue 2, la plupart des équipes possèdent de très bons joueurs d’attaque, rapides, évolués techniquement, qui peuvent faire des différences. Du coup, une équipe qui pense d’abord à attaquer, qui veut jouer haut, doit d’abord savoir très bien contrôler la possession du ballon. Elle ne doit pas le perdre et lorsqu’elle le perd, elle doit pouvoir être bien équilibrée défensivement et savoir bien gérer la transition attaque-défense pour éviter le contre des joueurs adverses. Ce qui se passe souvent en France: lorsqu’une équipe récupère la balle, par la qualité de ses joueurs (j’ai vu énormément de matchs, en U19, en CFA, Ligue 2 et les Français ont beaucoup de joueurs de talent en attaque), elle peut être très dangereuse pour son adversaire. C’est pour cette raison que je pense que beaucoup d’entraîneurs français préfèrent une appréhension plus défensive. A mon sens, si en France on adoptait une philosophie plus d’attaque, plus audacieuse, tout en étant équilibrée, on donnerait encore plus de qualité au football français. Mais attention, il faut aussi dire qu’il y a déjà des entraîneurs avec une vision tactique et philosophique différente.   

Vous avez notamment dirigé Florentino Luis avec les jeunes du Benfica. Il a rejoint Monaco au cours du dernier mercato , un club que vous connaissez bien. Comment le définiriez-vous? 

C’est un gamin qui a un énorme potentiel. Il a une capacité d’analyse du jeu que peu d’autres joueurs à son poste possèdent en Europe. Dans les phases défensives, il arrive à avoir deux, trois secondes d’avance. Balle au pied, il sait rapidement servir ses coéquipiers. A son poste, en Europe, peu de joueurs ont son potentiel. J’étais très heureux de le voir arriver à Monaco. Comme je vous l’ai expliqué, émotionnellement, je reste très attaché à l’ASM que je continue de suivre. Je sais quel genre de joueur Monaco a besoin en termes de caractère et techniquement. 

Il n’a que 21 ans. Comment pourrait-il progresser? 

Je considère qu’il est un joueur complet depuis longtemps. Le Florentino actuel n’est pas encore le vrai Florentino, mais ceux qui le connaissent depuis plusieurs années, qu’ils l’ont vu jouer depuis ses 11-12 ans, qui ont accompagné son évolution, qui ont suivi ses succès, constatent qu’il n’a fait que progresser. Ça démontre le potentiel énorme qu’il a. Mais celui qui le découvre aujourd’hui ne voit pas encore Florentino tel qu’il est vraiment et tel qu’il sera. C’est un joueur qui peut être utile à n’importe quelle équipe. Il arrive à donner de l’espace à son équipe offensivement, parce qu’il presse beaucoup, et il libère ses coéquipiers. D’un point de vue défensif, il est toujours d’une grande aide. Il sait occuper les espaces, remporter des duels de façon extraordinaire. Balle au pied, ce n’est pas un joueur qui va porter le jeu, faire le jeu à l’approche de la surface adverse… Il n’est pas ce type de joueur. Florentino est un joueur qui fait le lien, qui lit le jeu par ses passes, qui sait occuper les espaces.  

Vous avez aussi travaillé avec Renato Sanches au Benfica. Il semble renaître au LOSC. Quel regard portez-vous sur son parcours? 

Ce qui arrive à Renato ne me surprend pas, je me demandais juste quand cela allait se produire, quand il allait trouver le bon contexte, la bonne ambiance pour qu’il redevienne lui-même. Je ne suis pas surpris non plus qu’il ait connu des hauts et des bas dans sa carrière. On s’attend toujours à ce que les trajectoires des jeunes soient linéaires et toujours croissantes mais ça n’existe chez aucun jeune. Tout est allé très vite pour lui. En quelques mois, il est passé de l’équipe juniors du Benfica à la sélection A du Portugal, championne d’Europe. Et il a eu la capacité de se mettre au niveau. Quelques semaines plus tard, il était au Bayern Munich, l’une des équipes les plus puissantes du monde. Beaucoup d’attentes se sont créées autour de lui, or, ce dont il avait le plus besoin à ce moment-là, c’était de la tranquillité, afin qu’il puisse prendre conscience qu’il était dans un club différent, dans un pays différent, avec une culture différente. Cela fait finalement partie de son évolution. Et voilà qu’il a retrouvé la confiance dont il avait besoin, au sein d’un club structuré, organisé. Et je sais que l’atmosphère qu’il a trouvée à Lille était celle dont il avait besoin pour redevenir lui-même: un joueur extraordinaire, pour qui j’ai beaucoup d’affection et que j’ai accompagné depuis ses 9 ans.  

Beaucoup l’ignorent mais Danilo Pereira est passé par les jeunes du Benfica. A l’époque, vous l’avez lui aussi façonné comme adjoint de João Alves, puis Dimantino. A quel poste jouait-il? 

Il jouait milieu défensif, la plupart du temps. Lors de sa première saison, il a essentiellement évolué à ce poste et, au cours de la suivante, Diamantino l’a fait jouer plusieurs fois en défense centrale. 

En France, Thomas Tuchel le positionne justement en défense centrale et ça alimente pas mal de débats… 

Bon, j’ai vu Danilo jouer défenseur central mais c’était il y a de nombreuses années… C’est donc difficile de comparer. Connaissant bien Danilo, pour avoir suivi son parcours au Portugal mais aussi à l’étranger, il est un milieu d’excellence. Il n’est pas un 6 de position mais un 6 qui sait allait de l’avant, faire le pressing, un 6 qui a su beaucoup progresser dans son jeu de passes, dans la verticalité de son jeu. Avant, il privilégiait surtout des passes plus sures, plus sécurisées. Il est devenu l’un des meilleurs milieux d’Europe, un joueur fondamental avec le FC Porto et la Seleção. Si Thomas Tuchel pense qu’il peut avoir plus de rendement comme défenseur central, c’est qu’il doit avoir ses raisons, mais ceux qui le connaissent bien savent que, même s’il peut jouer en défense, Danilo, lorsqu’il sera bien adapté au football français, sera, en tant que milieu de terrain, un joueur très important pour le PSG, pour son équilibre. 

Parmi les autres pépites passées entre vos mains au SLB, il y a João Félix. Il y a quelques jours, Paulo Futre déclarait qu’il lutterait d’ici peu pour le Ballon d’Or. Partagez-vous son opinion? 

João est un joueur d’élite. Il y a très peu de joueurs comme João dans le monde, il est à part. En France, il y a Mbappé dont tout le monde comprend qu’il atteindra le sommet du football mondial. Il l’a même déjà atteint mais, bientôt, il sera un prétendant au Ballon d’Or. Ici, au Portugal, on se dit que João Félix sera aussi dans la lutte. Un jour, João remportera la Ballon d’Or, je n’ai aucun doute là-dessus. Le Portugal a beaucoup de joueurs de très haut niveau, comme Bernardo Silva… Ça me remplit de fierté d’avoir travaillé avec certains d’entre eux. 

https://rmcsport.bfmtv.com/football/monaco-on-a-manque-de-tolerance-envers-thierry-henry-regrette-son-ex-adjoint-2004179.html

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