Philippe Piat, après 15 jours de confinement, quel est votre ressenti de la situation vécue par les footballeurs, en tant que président de l’UNFP?
Avant le confinement, ce qui dominait, c’était l’envie des joueurs de rejouer rapidement et je ne ressentais pas vraiment d’inquiétude. Depuis le confinement et surtout depuis les annonces quotidiennes du nombre de morts en France, la tendance a changé. Aujourd’hui, les joueurs sont plutôt inquiets. Et quand on leur parle de reprise du championnat, ils se demandent si la pandémie de coronavirus sera terminée, s’il n’y aura pas de complication à reprendre trop tôt, etc.
Les considérations sportives ne pèsent donc plus très lourd par rapport à la santé dans leur esprit?
Exactement. C’est très visible. Le retour à la compétition demande des conditions sanitaires les plus optimums.
Comment garantir la santé des joueurs dans une hypothèse de reprise de la saison?
C’est une vraie question. On ne pourra pas le savoir avant que le moment arrive. On ne fait que des hypothèses. Ce qui est le plus couramment imaginé avec les médecins des clubs, c’est que pour une reprise de la compétition à une date X, il faut que les joueurs s’entrainent pendant 15 jours ou trois semaines avant pour reprendre dans des conditions athlétiques normales. Et au-delà de cette problématique de reprise de l’entrainement, il reste le problème sanitaire général. Est-ce qu’on sera sorti totalement du virus ? Est-ce que les conditions seront un peu meilleures pour reprendre les entrainements en respectant des consignes sanitaires ? Aujourd’hui, on ne peut pas savoir ce qu’il va se passer.
Comment imaginer une reprise de l’entrainement collectif au même moment pour tout le monde alors que le déconfinement pourrait être progressif et pas uniforme partout sur le territoire?
Il y a deux problèmes. D’abord celui des entrainements. Comment reprendre un entrainement collectif en respectant les consignes sanitaires ? On peut imaginer dans un centre d’entrainement fermé, une reprise avec une quinzaine, une vingtaine de joueurs qui s’entraineraient sur des coins de terrain sans trop de proximité. Et petit à petit, suivre les consignes sanitaires qui seraient modifiées. Et puis l’autre problème, c’est celui des supporters et des matchs à huis clos. Parallèlement à l’entrainement des joueurs post-confinement, il y a la question de la tenue des matchs. A huis clos ? ou pas ? Chaque jour qui passe, il y a des consignes différentes. Donc on est obligé d’attendre.
La période est très dure pour les clubs d’un point de vue économique. La plupart ont appliqué le chômage partiel. Peut-on imaginer des baisses de salaire encore plus importantes chez les joueurs?
On est en discussions avancées avec les clubs pour trouver des solutions qui iraient au-delà du chômage partiel. L’idée, c’est que sur le plan salarial, les joueurs puissent apporter une aide au système qui est en difficulté aujourd’hui. Déjà, les joueurs en France ne vont être payés qu’à hauteur de 70% de leur salaire brut pendant la période de chômage partiel. On va aller encore plus loin. On est d’accord sur un certain nombre de principe. Il faut maintenant affiner les règles juridiques. Parmi les pistes à l’étude, il y a le report d’une partie du solde mensuel du joueur en fonction de la tranche de salaire.
Mais attention, on veut bien que les joueurs participent à des réductions momentanées ou définitives de salaire, mais les salaires des joueurs ne doivent pas être l’unique variable d’ajustement des problèmes financiers du football. Il y a aussi les actions que devront mener les clubs. Le but, ce n’est pas de faire porter aux seuls joueurs les problèmes qui ne les concernent pas, d’autant plus s’ils devaient bien jouer l’ensemble des matchs prévus cette saison pour lesquels ils sont payés.
Est-ce que cette crise peut amener à réfléchir concrètement à l’application d’un salary cap dans le foot?
J’avais dénoncé le système il y a quelque temps, déjà de manière assez virulente, et le danger qui nous guettait concernant cette bulle financière du foot pro. Je ne pensais pas que ça allait survenir dans le cadre d’une crise sanitaire mais voilà ça arrive aujourd’hui. Avec la FIFPRO, on discute depuis de longs mois avec Gianni Infantino et la FIFA de réformes à mener pour nous enlever cette épée de Damoclès qui menace au moindre problème dans le foot. Aujourd’hui, le trading joueur est un élément trop important dans la stratégie des clubs. Ça ne devrait pas être le cas. Le budget des clubs devrait être constitué des droits TV, de la billetterie, du sponsoring, des revenus commerciaux mais pas de la vente de joueurs.
Concernant le salary cap, pourquoi pas. Mais pourquoi pas aussi l’obligation d’aller au bout des contrats des joueurs, pourquoi pas une limitation du nombre de joueurs sous contrat dans un club, pourquoi pas interdire aux clubs de recruter X joueurs qu’ils peuvent prêter comme ils veulent et faire un business parallèle au système des transferts… Pourquoi pas. Mais le salary cap serait une goutte d’eau dans l’océan de réformes qu’il faudrait mettre en place pour assainir le système.
Que pensez-vous de l’attitude de Canal +, diffuseur de la Ligue 1, qui refuse de payer sa traite de droits TV du mois d’avril devant l’impossibilité de diffuser les matchs?
En matière de finances, il n’y a pas de copains. Mais je pense que Canal + aurait dû, comme on le demande aux joueurs, participer et se montrer solidaire devant la situation actuelle et payer au moins au prorata des matchs diffusés une partie des dettes qu’ils ont sur les contrats TV. Ce n’est pas le cas d’après les échanges de courriers avec la Ligue. Il faudra donc s’en souvenir à l’avenir…
Vu le nombre d’inconnues qui existent encore alors qu’on va rentrer dans le mois d’avril, est-ce que vous envisagez une annulation pure et simple de la saison?
Les personnes aux responsabilités dans le monde du foot estiment et vont tout faire pour que le championnat actuel aille au bout parce qu’il y a les droits TV, le salaire des joueurs, les recettes billetterie. Normalement, la consigne, c’est de dire qu’il faut aller au bout presque à tout prix. Mais tout va dépendre du problème sanitaire dans le pays. On essaie de ne pas croire qu’on pourrait être amené à annuler le championnat 2019-2020.
https://rmcsport.bfmtv.com/football/l-unfp-previent-le-salaire-des-joueurs-ne-doit-pas-etre-l-unique-variable-d-ajustement-1885634.html