Invité de BFM Business ce jeudi, Jean-Marc Mickeler, le président de la DNCG, a dressé un portrait alarmiste du football français, actuellement « à l’os ». Il a proposé des solutions pour aider les clubs à s’en sortir.

Président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le gendarme du football hexagonal, Jean-Marc Mickeler s’inquiète pour la santé de la Ligue 1. Au micro de BFM Business, il a appelé à un changement de modèle, qui pourrait s’imposer de lui-même dans les mois à venir : entre l’imbroglio des droits télés et la pandémie de coronavirus, les finances des clubs français sont dans le rouge.

Vous lancez un cri d’alarme ce mercredi dans les colonnes de L’Equipe sur l’avenir financier du football français. Vous dites notamment que les finances des clubs sont « exsangues », et qu’ils sont « à l’os ». Quels sont les chiffres derrière ces mots ?

On parle d’une industrie qui a perdu les deux dernières saisons plus d’1 milliard d’euros, qui a doublé son endettement (passé de 500 millions à 1 milliard) qui présente des budgets pour la saison à venir avec un déséquilibre d’exploitation, de près d’1,3 milliard, qui pense pouvoir équilibrer ça en extériorisant des plus-values de cessions de joueurs à hauteur de 850 millions alors que le marché est, on le sait, atone. On parle d’une industrie pour laquelle les actionnaires se sont mobilisés au cours des deux dernières années, en apportant entre 700 et 900 millions d’euros. On parle donc d’une industrie qui aujourd’hui est à l’os et qui ne pourra plus continuer à être exploité avec un modèle qui, pour nous, est aujourd’hui dépassé.

Comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Avant même la crise, les clubs étaient-ils sains ?

La crise a définitivement précipité des difficultés qui existaient déjà. Le modèle du football français avant la crise reposait sur sa capacité à vendre ses joueurs sur les marchés étrangers et à équilibrer ses comptes avec la plus-value. Mais depuis des années, il y a un déficit d’exploitation important et ils dépensent bien plus qu’ils ne reçoivent. Mediapro et le Covid n’ont fait qu’accentuer ça.

L’État a-t-il assez aidé les clubs pendant la crise ?

L’Etat s’est fortement mobilisé pour aider cette industrie, comme il l’a fait pour d’autres activités sévèrement touchées par la crise. Les clubs ont bénéficié d’aide à billetterie, d’allègement ou d’exonération de charges, d’aides aux coûts fixes. Je pense que l’Etat a pleinement joué son rôle.

L’État était pourtant remonté après Mediapro et disait qu’il n’avait pas à régler la fracture…

En effet, mais encore une fois, l’aide a été particulièrement massive pendant le Covid. Mediapro, c’est accident industriel, pour lequel l’État a partiellement aidé en aidant la Ligue à obtenir son PGE (Prêt garanti par l’Etat), puis les actionnaires ont comblé le déficit.

Comment est-ce qu’on s’en sort ?

Il y a des solutions. Le principal problème, c’est le déséquilibre et l’inélasticité des charges par rapport aux revenus récurrents. La masse salariale consomme 90% des revenus récurrents. Si vous rajoutez les amortissements des contrats de joueur aux salaires, ça devient 100%. Aujourd’hui, il y a plus de 35 joueurs sous contrat en moyenne par club. A ma connaissance, il n’y a qu’11 joueurs sur le terrain, ça n’a aucun sens d’avoir 35 contrats pro. Comment on s’en sort ? On réforme, on limite nombre joueurs sous contrat, on introduit un salary cap.

Le salary cap, c’est-à-dire plafonner la masse salariale sur le modèle des franchises américaines de NBA, ça fait des années qu’on en parle. Que répondez-vous à ceux qui pensent que ça pourrait entraîner l’exode massif des meilleurs joueurs ?

C’est un discours que j’entends depuis des années. J’ai deux réponses. La première, c’est que le salary cap qu’on doit imaginer doit être global, pas par joueur, et permettra au club de recruter des talents particuliers et les payer au prix de marché. La deuxième, c’est que je n’arrive pas à comprendre les présidents qui m’expliquent que leur modèle est de vendre joueur leurs joueurs forts à étranger. Vous connaissez beaucoup d’industries qui développent leurs meilleurs brevets puis vendent tous les ans leurs brevets à la compétition ? Comment voulez-vous imaginer que vous allez construire le meilleur championnat en Europe ? C’est un argument que je n’ai jamais acheté et que j’achète encore moins aujourd’hui, alors que la capacité à vendre des joueurs s’est atrophié.

Dès lors que vous réfléchissez à un nouveau modèle qui soit plus équilibré en exploitation, vous n’avez plus besoin de vendre vos meilleurs joueurs, vous pouvez les garder, créer de la sympathie chez supporters, remplir les stades de manière pérennes, vendre des produits dérivés et ça vous rendra moins dépendant aux droits audiovisuels, qui est une autre spécificité du football.

Après le fiasco de Mediapro, Amazon a racheté les droits pour 250 millions, bien moins que le milliard escompté, et BeIN a toujours un lot dont il ne veut pas. Comment sort-on du chaos des droits français ?

Nous sommes encore dans un état de droit. Des contrats ont été signés et formés juridiquement. Personne n’a forcé beIN Sports à coter ses deux affiches du championnat 330 millions d’euros. Personne n’a empêché quiconque de mettre un prix plus élevé que celui d’Amazon. Beaucoup de gens parlent, beaucoup de déclarations sont faites, mais en tant que professionnel du chiffre et du droit, j’attends de voir. D’autant plus que, à ma connaissance, Canal a perdu deux fois en justice sur des faits similaires.

Quels clubs sont les plus en danger ?

Vous comprendrez que je ne peux pas m’exprimer et donner des noms. Il y a un élément rassurant : nous nous sommes mobilisés, la Ligue, la DNCG, l’Etat et les actionnaires mobilisés pour sécuriser la saison qui vient et acheter du temps, afin qu’aucun club ne soit en risque de défaut d’ici la fin du championnat. Ça doit permettre de mener les réformes nécessaires avant la saison prochaine.

Vous garantissez qu’il n’y aura pas de faillite lors de cette saison ?

Dans l’hypothèse de base, où les droits télés sont perçus conformément aux contrats signés et où l’on ne fait pas face à une quatrième vague de Covid-19, on peut avoir un confort raisonnable là-dessus. Tout simplement parce qu’on a fait préfinancer aux actionnaires l’ensemble des risques de trésorerie portés par les éléments incertains de leur budget, notamment les ventes de joueurs dans les mercatos à venir.

On vient d’apprendre que BeIN attaquait Canal+ en justice…

Je rappelle quand même à tout le monde qu’un contrat existe entre la Ligue et BeIN, et que Canal est sous-délégataire. Là ce que j’entends, c’est que BeIN attaque légitimement son sous-délégataire, qui ne remplit pas sa part du contrat. Mais ça ne remet pas en cause ce que BeIN doit honorer auprès de la Ligue.

Est-ce qu’une quatrième vague de la pandémie porterait le coup de grâce à la plupart des clubs ?

Objectivement non. J’imagine que l’État continuerait à accompagner l’ensemble des clubs touchés dans ce cas de figure. Mais évidemment, ça ne faciliterait pas le choses. Ça rendra encore plus nécessaire l’achèvement et la mise en œuvre de ces réformes. On espère tous qu’avec le pass sanitaire, on va réussir à remettre des gens dans le stade. »

Corentin Parbaud Journaliste RMC Sport

https://rmcsport.bfmtv.com/football/ligue-1/ligue-1-contrats-salary-cap-les-pistes-du-patron-de-la-dncg-pour-sauver-le-foot-francais_AV-202107150438.html

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