Il est l’un des joueurs majeurs de la Roma, demi-finaliste de la Ligue Europa. Le milieu de terrain français est devenu une référence en Serie A, dans un championnat réputé pour sa méticulosité et sa compétitivité. De ses expériences à l’étranger à sa polyvalence tactique, entretien avec Jordan Veretout.
En Italie, de nombreux observateurs se demandent encore pourquoi Jordan Veretout n’a toujours pas été appelé en équipe de France. Comme pour Theo Hernandez, les performances du milieu français sont soulignées week-end après week-end et son importance dans le onze de la Roma ne fait aucunement débat. Leader et fougueux sur le terrain, il est plus réservé dès qu’il quitte le rectangle vert. Sauf si on lui parle football. Dans ce cas, l’entretien peut facilement s’éterniser pour notre plus grand plaisir.
Quand tu arrives à l’été 2017 à la Fiorentina, est-ce que tu avais des idées reçues sur le championnat italien ?
Au début, je ne regardais pas trop le championnat italien. Mon transfert à la Fiorentina s’est fait tardivement, en 24h, et une fois que j’ai signé, j’ai regardé quelques matchs. Je me suis rendu compte que le foot italien était très tactique et ce qui m’a vite plu, c’est de voir les nombreuses équipes qui avaient des sorties de balle propres, au sol. Même les petites équipes avaient cette philosophie là. Et ça continue. Cette année, La Spezia était un promu et l’équipe n’avait pas peur de ressortir le ballon de derrière. C’est vrai que cet élément-là m’a marqué et c’est ce qu’on observe en Italie. C’est un football qui me parle. En Premier League, nous à Aston Villa, on n’avait pas trop cette habitude-là…
Quand tu pars de Nantes pour Aston Villa, est-ce que ce choix est aussi dicté par l’attrait de la Premier League ? Est-ce que tu fais partie de la génération qui regardait la PL comme le championnat ultime à atteindre ?
Quand je quitte Nantes, c’est parce que j’ai le sentiment d’en avoir fait le tour : j’étais arrivé à 10 ans, j’ai été formé au club, j’ai fait 4 années professionnelles, on est montés de Ligue 2 en Ligue 1, on a obtenu le maintien… Je voulais sortir de mon confort parce qu’à Nantes j’avais tout, je connaissais tout le monde. Je voulais prendre mon envol. Et quand on te parle de la Premier League, t’es forcément à l’écoute, je regardais ce championnat à la télé, j’avais envie d’aller là-bas : ça va d’un but à l’autre, des stades pleins, des superbes pelouses. Ouais, ça donne envie.
On dit souvent qu’aller à l’étranger te permet de progresser comme joueur, de t’affirmer comme homme, tu es d’accord avec ça ?
A Nantes, j’avais la famille et les amis à côté. Partir à l’étranger avec ma femme et ma fille qui n’avait que quinze jours, c’est clair que tu quittes le confort. Il faut rapidement s’adapter, car tu es vite dans le bain à l’étranger. Je pense que j’ai grandi très rapidement et j’ai pris en maturité.
Passer de Nantes à Birmingham, c’est comment ?
Il y a déjà la barrière de la langue. Et puis des choses simples comme prendre la voiture et rouler à gauche, c’est difficile au début. Tu prends les trottoirs quelques fois (rires). La culture est différente, l’alimentation l’est aussi. Même si sur le plan du foot, ce n’était pas ce que j’espérais, si c’était à refaire, je le referais car on a passé une super année là-bas. J’ai grandi, j’ai appris et je n’ai pas refait en Italie les erreurs que j’ai pu faire en Angleterre.
Des erreurs sportives ?
J’ai signé à Aston Villa sans avoir pu parler avec le coach. Je ne pense pas que j’étais sa priorité et ça s’est vu tout au long de la saison. C’est ce que j’ai ressenti. J’ai peu joué. En Italie, j’ai parlé avec l’entraîneur, avec le directeur sportif et c’est rassurant de savoir qu’ils te connaissent bien, qu’ils savent comment ils veulent t’utiliser…
Paulo Fonseca a joué un rôle important dans ton arrivée à la Roma…
A la fin, c’est l’entraîneur qui décide de comment va se passer ta saison. De savoir que tu vas évoluer avec un coach qui te connait, qui t’a vu jouer, qui sait tout de toi, qui te dit comment il compte t’utiliser et à quel poste, c’est essentiel. Il a pris le temps de m’appeler, m’a dit qu’il m’attendait, donc ça a forcément joué sur ma réflexion de signer à la Roma. C’est un critère très important.
Et quand tu avais signé à la Fiorentina, tu avais parlé avec Pioli ?
Comme je disais avant, ça s’est fait très rapidement avec la Fiorentina, donc je n’avais pas échangé avec Pioli car il y avait en plus la barrière de la langue. Mais j’avais parlé au directeur sportif qui lui m’avait beaucoup parlé du coach. C’était Carlos Freitas et il parlait français donc j’avais longuement échangé avec lui. Là encore, j’ai eu le sentiment que le cadre de travail allait me convenir.
« Je trouve qu’on travaille plus en Italie »
En parlant de cadre de travail, tu as constaté une exigence plus intense en Angleterre et en Italie par rapport à la France ? Un entraîneur de Ligue 1 me disait récemment que quand un joueur revient de l’étranger, il est transformé. Il le voit dans son attitude au quotidien, dans sa personnalité sur le terrain.
Dans chaque championnat, tu apprends des choses. Sur le plan sportif, ça n’a pas été top en Angleterre, mais j’ai beaucoup appris. Quand tu vois les comportements des autres joueurs, tu essayes de te mettre au niveau, tu grandis comme ça. En Premier League, on ne travaillait pas forcément plus mais le rythme était beaucoup plus élevé. Ça va très très vite. A force de t’entraîner avec des joueurs qui ont cette habitude, ton corps s’habitue lui aussi.
Et en Italie ?
Je trouve qu’on travaille plus, on passe plus de temps en salle pour tout ce qui est musculation, gainage, proprioception, prévention, etc. Et la récupération après les matchs aussi est essentielle en Italie. Le quotidien est intense.
A la Fiorentina et à la Roma, tu as connu des entraîneurs qui t’ont confié des tâches différentes sur le terrain. Tu as joué comme regista et relayeur, tu as parfois eu beaucoup de liberté et d’autres fois on t’a demandé de venir chercher très bas les ballons de manière systématique. Est-ce que tout ça a enrichi ton football et te permet de pouvoir tout faire au milieu aujourd’hui ?
J’ai toujours aimé jouer dans des systèmes qui me permettent de me projeter offensivement. A Nantes, j’avais même joué quelques matches en soutien de l’attaquant. Quand on m’a mis à un poste plus défensif, avec un rôle clair dans la sortie de balle, j’ai appris et ça m’a permis d’étoffer mon bagage technique et tactique. Regista ou mezzala (mot utilisé en Italie pour désigner les relayeurs, ndlr), c’est deux postes vraiment différents. Quand tu es relayeur, tu n’as pas le sentiment de devoir calculer à chaque instant, tu as plus de liberté et tu joues un peu plus à l’instinct. Tu peux te projeter, tu sais qu’il y a du monde derrière. Alors que quand tu joues devant la défense, tu es toujours dans l’analyse et la réflexion du jeu. Si je perds le ballon, derrière c’est la défense qui est exposée.
Que tu sois aligné avec Villar ou Diawara dans le double pivot du milieu de la Roma, ça change quelque chose pour toi ?
L’entraîneur me demandait la même chose, donc ça ne changeait pas fondamentalement mon rôle. Il fallait que je me projette, que je sois aussi à la réception des centres, etc. Avec Gonzalo Villar ou Amadou Diawara, j’étais toujours le milieu le plus avancé, celui qui devait accompagner les actions. Ce qui change, c’est plutôt d’être à deux au milieu, et pas à trois. Quand tu n’es que deux, tu dois quand même toujours avoir à l’esprit la notion d’équilibre. Et quand tu affrontes des équipes qui sont à trois au milieu, c’est plus difficile car on est régulièrement en infériorité. Il faut trouver le bon moment pour sortir presser. Il faut savoir tempérer pour que les joueurs offensifs puissent se replacer.
Cette année, avec beaucoup de liberté pour accompagner les actions, on t’a vu te projeter. Tu es arrivé à 10 buts, 5 dans le jeu et 5 sur penalty. Tes buts contre la Juve et Bologne, notamment, témoignent de ta faculté à te projeter dans les bonnes zones à la suite de transitions offensives très rapides. On a le sentiment que ce style te correspond bien et que tu t’éclates sur ces phases de jeu…
J’adore me projeter, aller dans les zones libres et prendre la profondeur. En tant que milieu de terrain, je sais que c’est dur d’avoir en face un milieu qui prend les espaces. Parce que tu dois réfléchir et te demander si tu dois le suivre, si tu le lâches et que tu le refiles au défenseur, tout en ayant un oeil sur le porteur de balle et les trajectoires de passe. Ça fait mal à l’adversaire qui peut être « entre deux options » sans se décider vraiment. Ce temps de réflexion là peut donner un avantage important au joueur qui se projette et lui permettre d’être libre. Je sais combien c’est difficile quand je suis en position défensive et qu’un adversaire me le fait, donc moi j’aime bien le faire offensivement.
Tu as aussi marqué de la tête contre l’Udinese, sur une frappe enroulée contre Milan, en projections, sur penalty, … c’est une donnée qui parait indispensable pour un milieu de terrain dans l’évolution du foot. Être plus un milieu tout terrain qu’un milieu de terrain…
Je travaille beaucoup cet aspect. J’aime bien rester à la fin de l’entraînement pour travailler devant le but. Ça te permet d’être plus à l’aise en situation de match. Quand j’étais plus jeune, j’arrivais un peu en panique devant le but, je ne savais pas trop quoi faire et honnêtement ça se voyait facilement. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus tranquille, je suis serein.
« C’est toujours flatteur pour un joueur d’être coaché par de grands entraîneurs »
Tu es aussi devenu très décisif sur penalty. Tu en tirais à Nantes, tu en tirais à la Fiorentina, tu les tires à la Roma. 26 réussis, 2 ratés sur 28 tentatives en club. Tu te rappelles contre quel gardien tu as raté ?
Je m’en souviens, oui. Et il y en a un, entre guillemets, c’est la faute de mon coach (rires). C’était à la Fiorentina. Les deux ratés d’ailleurs étaient avec la Viola. Je tirais toujours du même côté au début. Maintenant j’ai changé et j’alterne. Mais à l’époque, non. Et le matin d’un match contre le Torino, Stefano Pioli me dit ‘attention, le gardien plonge toujours de ton côté sur penalty.’ Du coup, pendant le match, on obtient un penalty et je décide de changer de côté. Manque de bol, Salvatore Sirigu aussi et il me l’a arrêté. Le deuxième raté, on n’était pas bien du tout, on enchaînait les défaites, et c’était contre Sassuolo. Je l’avais très mal tiré et c’était bien mérité que je le rate.
Tu travailles beaucoup cette séquence ?
A la fin de chaque entraînement, j’en frappe. On se fait des petits concours avec les gardiens, avec Mirante, Fuzato et Farelli. Ça fait partie du jeu de se chambrer un peu et c’est sympa, mais sur cinq penalties, j’essaye d’en tirer toujours au moins quatre comme si j’étais en match, donc de manière très sérieuse, en étant très concentré. Et sur le dernier, tu chambres le gardien comme lui peut te chambrer aussi d’ailleurs (rires).
Paulo Fonseca, qui t’avait tant voulu à la Roma, s’en va. Qu’est-ce que tu retiens de vos deux années ensemble ?
C’est un entraîneur très rigoureux et j’ai beaucoup progressé à ses côtés. J’ai passé deux belles saisons avec lui. Je le remercie et j’espère qu’il retrouvera un bon club car c’est vraiment un très bon coach. Il est humble et abordable, il a toujours été correct avec nous.
Le prochain entraîneur de la Roma est José Mourinho. Est-ce qu’il y a une excitation de jouer sous les ordres d’un tel entraîneur et est-ce que tu penses qu’il peut te faire passer un nouveau cap, pour arriver, à l’un de tes rêves, porter le maillot de l’équipe de France ?
C’est un très grand entraîneur, qui a gagné beaucoup de titres. En Italie, on se souvient de son triplé avec l’Inter. Je pense qu’il arrive avec de l’ambition. C’est toujours flatteur pour un joueur d’être coaché par de grands entraîneurs, pour atteindre de grands objectifs.
Mourinho aime les joueurs avec une forte personnalité sur le terrain. Est-ce que tu es d’accord pour dire que tu as cette forte personnalité sur le terrain, que tu tires les autres vers le haut, que quand tu vas presser, tu embarques tout le monde… mais que tu es plus discret dès que tu quittes la pelouse ?
Quand je rentre sur le terrain, mon comportement change. Moi, c’est automatique. J’ai envie de gagner, je fais tout pour aider l’équipe. C’est mon jeu d’agresser le porteur de balle. Si je le fais le premier, c’est sûr que les autres vont suivre. C’est simple en fait : quand quelqu’un te pousse, tu es obligé de répondre présent. Si je vois un coéquipier faire un gros effort, forcément je vais déclencher aussi. Mais c’est vrai que c’est mon jeu de beaucoup courir, de presser, de faire des appels… et puis je suis pas du genre à arrêter si on ne me donne pas le ballon lorsque je fais une course vers l’avant. Il y a des appels utiles pour libérer l’espace pour des coéquipiers. Après en dehors, je suis plus quelqu’un de réservé, c’est vrai.
Je me souviens que cette saison, j’ai lu plusieurs journalistes suiveurs de la Roma dire qu’il fallait plus de Veretout dans cette équipe de la Roma, en parlant notamment de ton état d’esprit sur le terrain, de ton implication… Et c’est vrai qu’on a parfois l’impression ces dernières années que la Roma bloque mentalement devant certaines difficultés alors qu’elle a beaucoup de joueurs de qualité, d’où des grosses défaites de 4 ou 5 buts…
Il y a clairement des défaites qu’on aurait pu éviter… Personnellement, ce n’est pas dans mon tempérament de lâcher. J’ai toujours eu ça en moi. Depuis tout petit on m’a appris à sortir du terrain en étant épuisé. On peut louper plein de choses, mais quand je m’assois dans le vestiaire, il faut que je puisse me dire que j’ai tout donné et que sur ça, on ne pourra rien me reprocher. C’est important.
Si tu avais la possibilité de donner un ou deux conseils au Jordan Veretout qui découvrait la Ligue 1 lors de la saison 2013-2014, quels seraient-ils ?
Avec la maturité, tu réfléchis plus sur le terrain et tu apprends à avancer. Quand j’étais plus jeune, j’avais tendance à rester focalisé sur ce que je ratais. Après chaque match, je restais sur mes erreurs. Toute la semaine, je me disais ‘j’ai raté cette passe, j’ai raté tel truc et le week-end prochain, à tous les coups, je vais être sur le banc.’ C’était limite un drame. Je ne pensais qu’à ça. Désormais, je suis plus relax, je donne le maximum, je loupe des trucs comme tout le monde, ça m’arrive de rater des matches, mais l’essentiel est d’aller le lendemain à l’entraînement avec la volonté de progresser. Je suis plus positif. Un autre élément, c’est le passage à l’étranger. Moi, j’ai beaucoup appris en Angleterre et en Italie. Si je devais parler au Jordan de 2014, je lui dirais de foncer, de ne pas réfléchir, de saisir l’occasion d’aller à l’étranger. Si ça ne se passe pas bien, au pire, tu rentres en France et tu apprendras de cet échec.
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