Depuis 2006/07, le nombre de passes par match en Premier League a augmenté de 27 % (de 717 à 912). S’il reste quelques nostalgiques attachés au jeu direct et intense qui a fait la réputation du football outre-Manche (Burnley, Newcastle), le championnat anglais est désormais riche en styles et en ambition dans le jeu. L’apport technico-tactique des joueurs puis des entraîneurs étrangers est venu compléter son rythme effréné. « Le football anglais change, ce ne sont pas que de longs ballons loin devant, observe Nuno Espirito Santo, l’entraîneur portugais de Wolverhampton, dans le Guardian. Il y a des moments de possession, mais la Premier League permet un match box-to-box et j’aime ça. »

L’exercice 2019/20 a été marqué par l’hégémonie des Reds, consécration comptable de leur transformation depuis l’arrivée de Jürgen Klopp sur leur banc à l’automne 2015. Liverpool, tout en restant la meilleure équipe d’Europe en transition, a appris à se défaire des adversaires regroupés. Derrière, il y aurait beaucoup à dire sur toutes les approches adoptées, qui font de la Premier League une compétition passionnante à observer tous les week-ends. Mais parce qu’il faut bien fixer une limite, voici huit faits tactiques saillants de cette saison.

Les touches de Liverpool

Dans sa quête des gains marginaux, Jürgen Klopp s’est entouré de spécialistes. Peter Krawietz, son fidèle adjoint, est en charge de l’analyse tactique. Pepijn Lijnders doit retranscrire à l’entraînement le modèle de jeu basé sur l’intensité. Andreas Kornmayer, débauché au Bayern Munich, s’occupe de la préparation physique. Mona Nemmer, elle aussi ancienne du Bayern, est responsable de la nutrition. Depuis l’été dernier, un psychologue du sport, Lee Richardson, est présent au club trois jours par semaine. Sans oublier l’unité de data science et ses quatre PhD, dirigée par Ian Graham. Mais un autre homme a particulièrement fait parler de lui ces derniers mois: Thomas Gronnemark.

L’ancien sprinteur danois s’est spécialisé, depuis 2004, dans l’entraînement des touches. Il détient d’ailleurs le record du monde du plus long lancer (51,33 mètres). Depuis la saison dernière, il collabore avec Jürgen Klopp. « Pour être honnête, je n’avais jamais entendu parler d’un coach de touches, avoua l’Allemand. Quand j’ai entendu parler de Thomas, j’ai voulu le rencontrer; quand je l’ai rencontré, j’étais sûr à 100% que je voulais l’embaucher. » « Jürgen est très bon pour dire : ‘Hey ! On peut s’améliorer là, je ne sais pas tout’, racontait Gronnemark en octobre dernier. Il m’a dit qu’il avait essayé quelque chose avec les touches mais que ça n’avait pas marché. L’une de ses grandes forces, c’est qu’il écoute des spécialistes des choses qu’il peut améliorer. »

Les touches sont les phases arrêtées les plus fréquentes (43 par match, contre 27 coups francs, 16 six mètres, 10 corners et 4 coups d’envoi), d’où l’intérêt d’optimiser les lancers comme les combinaisons. Une initiative moquée par certains consultants de la vieille école, mais qui porte ses fruits: Liverpool était l’une des pires équipes de Premier League en termes de possession perdue sur les touches; désormais en Europe, seul le FC Midtjylland fait mieux… un autre club qui a travaillé avec Thomas Gronnemark. Les mouvements sont similaires à ceux d’un corner: des courses et des blocks pour libérer un coéquipier, avec l’objectif, cette fois, de trouver un relais intérieur et de renverser pour le latéral qui reste écarté côté opposé. Ou comment se façonner une nouvelle rampe de lancement pour des attaques rapides dévastatrices.

Les attaques à cinq

« Le football avance, expose Arsène Wenger en préface de The Wenger Revolution. La défense s’améliore, et la réponse de l’attaque est de trouver un problème pour mieux défier la défense. » La réponse du jeu de position aux blocs défensifs toujours plus compacts et aux contre-attaques toujours plus incisives, c’est une animation offensive à cinq sur la largeur, pour occuper les cinq couloirs verticaux chers à Pep Guardiola. « On travaille dans ces cinq couloirs, et ce qui est fondamental, c’est que l’ailier et le latéral du même côté ne soient jamais dans le même couloir », enseigne le Catalan dans Herr Pep. Cela le conduit, comme il le faisait déjà parfois au Barça mais surtout au Bayern, à considérer le défenseur latéral comme un joueur axial plutôt qu’excentré, faisant de Kyle Walker un troisième défenseur central et d’Oleksandr Zinchenko un milieu supplémentaire. Le tout en prévention des contres adverses, via une zone axiale densifiée.

Objectif : fixer l’adversaire au centre pour générer des situations de un contre un sur les ailes. Mikel Arteta a exporté ces principes à Arsenal : son 4-4-2 en phase défensive se mue en 2-3-4-1. À ses débuts à Tottenham, José Mourinho a animé les Spurs en 3-2-4-1 avec ballon (comme son compatriote Paulo Sousa à Bordeaux). Le 3-4-3 de Chelsea se transforme parfois en 3-2-5 en attaque. Liverpool suit le mouvement, avec l’apport d’Alexander-Arnold et Robertson, ou l’avancée d’un relayeur. C’est aussi en progressant sur attaque placée que les Reds ont bâti leur suprématie.

Le 3-4-1-2 de Manchester United contre les gros

La recette a pris un point à Liverpool, trois à Chelsea et trois à Manchester City. Face aux gros, Ole Gunnar Solskjaer a trouvé la bonne formule: un 3-4-1-2 visant avant tout à créer et exploiter des espaces dans les couloirs sur attaque rapide. « Pour moi, c’est un football vif, fluide, avec la bonne intention, décrivait l’entraîneur norvégien après la victoire dans le derby mancunien. Quand on récupère le ballon, cela ne sert à rien de le garder ou de jouer en retrait ou jusqu’au gardien, si on a la possibilité de transpercer l’adversaire. C’est ce qu’on a fait, avec de très bonnes intentions de passer vers l’avant, et on a des joueurs avec de la vitesse, de la qualité et du talent. Je ne voudrais pas devoir gérer les courses de James, Lingard, Rashford et Martial. »

Dans ce système, les deux attaquants se placent systématiquement à l’extérieur de la charnière adverse, créant un dilemme au latéral: s’il sort sur le piston mancunien, Martial, James et consorts attaquent l’espace dans son dos (malgré l’inconvénient d’un appel vers l’extérieur plutôt que vers le but) ; s’il ne sort pas, le joueur de couloir de MU peut progresser sans pression. Sans ballon, les Red Devils n’ont pas systématiquement attendu bas en 5-3-2. Ils ont aussi démontré leur faculté à défendre haut en générant des pressing traps sur les ailes, fermant les solutions axiales et laissant les latéraux adverses libres avant de les cibler agressivement sur le temps de passe. Bref, un plan bien maîtrisé.

Les défenseurs centraux qui dédoublent de Sheffield United 

C’était déjà l’une des curiosités des Blades lors de la campagne 2018/19 récompensée par une montée en Premier League, et Chris Wilder l’a perpétuée dans l’élite. Dans le 3-5-2 de Sheffield United, le central droit et le central gauche, Chris Basham et Jack O’Connell, sont encouragés à dédoubler dans le couloir pour y créer un surnombre, aidés par les dézonages des relayeurs et des attaquants (Sheffield est l’équipe qui attaque le plus dans les couloirs, 81% du temps). L’équilibre défensif est préservé par les deux défenseurs restant en place et par la sentinelle.

« Ce qu’il se passait, c’est que les équipes nous attendaient de plus en plus bas, raconte Wilder sur les origines de ces mouvements. On devait donc exposer une zone. Cela s’est développé à cause de l’attitude des adversaires face à nous, surtout à Bramall Lane. » Mais désormais, Basham et O’Connell déboulent même face à Liverpool ou Manchester United, et Sheffield United s’est mêlé à la course à l’Europe, également porté par la deuxième meilleure défense de Premier League.

La flexibilité tactique de Leicester

4-3-3 se muant parfois en 4-2-2-2 en phase offensive, 4-4-2 losange ou 3-5-2: pour porter Leicester sur le podium, Brendan Rodgers a multiplié les formules tout en conservant ses principes ambitieux, son jeu combiné au sol magnifié par ses techniciens et sa proactivité en phase défensive. « Mes équipes sont flexibles tactiquement », résumait déjà le Nord-Irlandais en 2015 dans l’ouvrage Living on the Volcano. Très influencé par l’école espagnole, Rodgers a façonné une formation à son image, capable de briller dans toutes les configurations du jeu, concrétisant le rêve de son prédécesseur, Claude Puel.

« J’ai toujours vu la construction depuis l’arrière comme une opportunité, alors que beaucoup la voient comme un risque, confiait l’entraîneur des Foxes à The Athletic en novembre dernier. Ce n’est pas un risque. Si vous ouvrez le terrain et qu’une équipe veut venir vous presser, il faut être ouvert. Et ensuite, il faut trouver l’espace. La différence, c’est qu’on ne joue pas toujours à partir de la première ligne. Ça peut être pour les latéraux en deuxième ligne, ça peut être dans l’espace lointain… L’opportunité de construire est là. Il faut avoir cette gamme de passes et donner aux joueurs les lignes de passe comme options. Parce que peu importe ce qu’on me dit, un long ballon, c’est du 50-50. » Entre structure et improvisation, Leicester déplace le curseur en fonction des circonstances, et ça lui réussit

L’organisation défensive de Wolverhampton

Cette trêve forcée a donné l’opportunité aux analystes des clubs de Ligue 1 d’étudier les références dans leur domaine en Europe. En plus des grands noms habituels, beaucoup se sont focalisés sur le Wolverhampton de Nuno Espirito Santo, tant le cadre tactique posé par l’ancien gardien remplaçant du Porto de José Mourinho, en 3-4-3 ou en 3-5-2, attire les regards.

Les Wolves ne vont pas presser haut (seul Newcastle a réalisé moins de « pressions » dans les trente mètres adverses), mais leur bloc médian n’est pas passif pour autant. En 5-3-2 comme en 5-4-1, ils occupent intelligemment l’espace, ferment l’accès à l’axe grâce à l’étroitesse et à la compacité des attaquants et des milieux, et invitent l’adversaire à jouer dans le couloir. Le piston sort alors agressivement sur l’excentré adverse, milieux et défenseurs ferment le demi-espace et les relais axiaux, l’attaquant empêche le retour intérieur pour compliquer le renversement du jeu, et c’est toute la construction qui est neutralisée. « Même si je n’ai pas le ballon, je peux être en contrôle du match, soulignait NES dans le Guardian l’été dernier, reprenant une formule du Special One. Mon processus défensif doit être organisé et suffisamment solide pour contrôler le match. Comment j’y parviens? En créant des déclencheurs en fonction de l’endroit où je veux récupérer le ballon. »

Ensuite, les percutants et rapides Adama Traoré, Diogo Jota, Raúl Jiménez et Pedro Neto se régalent dans les espaces. Wolverhampton est d’ailleurs l’équipe de Premier League qui a le plus tiré sur des contre-attaques (26). « Si une équipe est organisée, c’est vraiment difficile de lui faire mal, donc il faut chercher le moment où elle est déséquilibrée, poursuit Espirito Santo. Et quand est-ce? Quand on récupère le ballon. » De quoi compenser une certaine rigidité sur attaque placée, avec peu de dézonages et un jeu orienté sur la largeur (79 % d’attaques sur les côtés, deuxième derrière Sheffield Utd).

Le pressing de Southampton

Comment se relever d’une défaite 9-0? À l’automne, conforté par ses dirigeants malgré une crise de résultats et une humiliation face à Leicester à domicile, Ralph Hasenhüttl a recentré son équipe sur ses principes fondamentaux. « Je veux que mes joueurs réagissent vite quand on perd le ballon, qu’on se batte pour regagner le ballon, martèle l’entraîneur autrichien en conférence de presse en novembre. On travaille ça depuis longtemps et surtout ces dernières semaines. On a un peu oublié ça dans nos derniers matches. Ce comportement est notre principal travail. Notre état d’esprit après avoir perdu le ballon n’est pas le bon. Quand vous n’avez pas ou peu confiance en vous, vous vous battez moins pour le ballon quand vous le perdez. Une réaction normale serait de ne plus penser à l’erreur commise et de tout de suite retourner au contact. Si vous pensez à votre erreur, alors le moment est passé et il n’y a plus l’occasion de contre-presser. Tout le monde fait des erreurs et il ne faut pas s’arrêter de vouloir reprendre le ballon. Il faut que l’on retrouve ça, et ça a été au cœur de ces deux dernières semaines. »

Résultat: enfin stabilisés tactiquement dans un 4-4-2, les Saints ont remporté sept de leurs douze matches de Premier League après la trêve de novembre, remontant de la dix-neuvième à la neuvième place. Ils ont ensuite reglissé vers la deuxième partie de tableau, signe d’une inconstance persistante, mais sur l’ensemble de la saison, Southampton est l’équipe qui réalise le plus de « pressions » sur le porteur de balle et seul Liverpool en comptabilise plus dans les trente mètres adverses.

À son arrivée en décembre 2018, Hasenhüttl avait utilisé des séquences de jeu de son Leipzig (qu’il avait mené à la deuxième place de Bundesliga en 2016/17 en tant que promu) pour expliquer son approche à ses joueurs. « On a parlé de pressing, chasser le ballon, avoir faim, prendre des décisions rapides quand on a le ballon, des transitions rapides vers l’avant, détaillait-il à Sky Sports. L’idée, c’est d’être plein de passion, garder un tempo élevé, ne pas ralentir le jeu. Le plus important, c’est la transition. Ce qui se passera quand on perd le ballon, comment on réagit quand on le récupère. Quand on essaie de presser, de contre-presser, on a soudain une occasion qu’on ne pensait pas pouvoir avoir. » Il a fallu du temps, mais son approche a fini par porter ses fruits.

Le jeu de possession de Brighton

L’équipe de Premier League qui joue court la plus grande proportion de ses six mètres n’est ni Manchester City, ni Arsenal, ni Liverpool mais… Brighton. L’été dernier, les Seagulls ont vécu une révolution avec l’arrivée de Graham Potter sur leur banc, incarnée par cette phase de jeu en apparence anodine. La saison passée, avec Chris Hughton, Matt Ryan jouait 6 % de six mètres courts, contre 76 % cette saison.

« Graham Potter veut jouer un football similaire à Pep Guardiola », osait en 2018 Bersant Celina, ancien de City dirigé par l’Anglais à Swansea. Il y a des similitudes, dans la volonté de construire depuis l’arrière – au prix de quelques erreurs de relance fatales –, dans le jeu placé et combiné au sol, patient. Brighton a la cinquième plus haute possession moyenne du Royaume (55,7 %). Dans la flexibilité tactique de l’ancien entraîneur d’Östersund, aussi, d’un match à l’autre ou de phase défensive à offensive, entre 3-4-3, 4-2-4, 4-4-2, 4-2-3-1, 3-5-2 et 4-4-2 losange.

Mais malgré toute la débauche d’énergie de Neal Maupay, Potter n’a pas la force de frappe offensive des Cityzens: les Seagulls ne sont que la quatorzième attaque de PL (32 buts), pointent au onzième rang des Expected Goals (37,4) et présentent le quatrième pire taux de conversion de tirs en but (8,51 %). En ce sens, Brighton fait plutôt penser, avec un talent technique inférieur, au Betis de Quique Setién, aussi prometteur dans l’initiation de ses actions que frustrant par son incapacité à les faire déboucher sur quelque chose. L’incarnation, néanmoins, d’une Premier League où la diversification et l’enrichissement du jeu s’étendent bien au-delà des mastodontes du Big 6.

https://rmcsport.bfmtv.com/football/huit-curiosites-tactiques-de-la-saison-de-premier-league-1913805.html

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