Dans l’imaginaire du plus grand nombre, les footballeurs de haut niveau auraient une belle vie. Et pas vraiment de quoi se plaindre, au fond, dans la mesure où ils vivent confortablement de leur passion. C’est une rengaine bien connue, mais elle est erronée à plus d’un titre. Selon une étude de la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (FIFPro), publiée en 2016, « 45% des joueurs professionnels gagnent moins de 1000 euros par mois ». On est loin du cliché d’un train de vie fastueux. Pire, en 2020, ils sont deux fois plus nombreux à développer des troubles de l’anxiété, à souffrir de dépression. Mais le problème est souvent tu, car il est mal vu. Et pourtant, comme nous le rappelle à juste titre Vincent Gouttebarge, médecin chef de la FIFPro, « personne n’est immune des troubles psychologiques ».

À plus forte raison les sportifs professionnels, qui ont des vies extra ordinaires (en deux mots), où les émotions, les attentes et les besoins sont décuplés, de façon positive comme négative, tant les enjeux sont énormes, et le chemin à parcourir pour atteindre les sommets, parsemé d’embûches. Dans un univers aussi concurrentiel que celui du football professionnel, la plupart des joueurs qui s’engagent sur cette voie sont à peu près certains d’échouer, disons-le clairement. Seule une poignée d’entre eux parviendra à atteindre ce but. Pour les autres, la chute est d’autant plus difficile à encaisser psychologiquement, qu’ils auront donné de leur personne pour maximiser les chances de réussite.

« Le risque de ces joueurs-là, qui donnent énormément, certes, c’est qu’ils augmentent leur capacité à réussir, parce qu’ils font la démarche. Mais a contrario, le jour où on leur dit ‘tu ne fais plus partie du centre de formation’, la chute est vertigineuse, explique Cécilia Delage, psychologue clinicienne, en charge des jeunes joueurs du Racing Club de Lens. Parce qu’ils peuvent se dire: ‘J’ai tout donné, j’ai tout fait comme il fallait, ce qu’on m’a demandé, et au final, on ne me garde pas. Pourquoi ?’ Alors qu’en fait, c’est peut-être une question de qualité technique. Le gamin est peut-être arrivé au bout, et on sait qu’on ne pourra pas l’amener plus loin. C’est toute une question de communication, de la manière d’apporter à l’enfant la raison, l’explication. »

Le suicide de Jeremy Winsten, un fait marquant qui doit nous interroger

Ce que l’actualité est venue nous rappeler très gravement, avec la disparition tragique du jeune Jeremy Wisten, qui s’est suicidé à l’âge de 17 ans après avoir appris qu’il ne serait pas conservé par le club de Manchester City. Sans présager des réponses qui pourraient être apportées sur les raisons qui l’auraient poussé à mettre fin à ses jours, il est hautement probable que l’enfant souffrait de dépression liée à cet échec. Le défenseur central né au Malawi, l’un des pays les plus pauvres de la planète – qui traverse d’ailleurs une vague de suicides liée à la crise sanitaire – a peut-être souffert à la fois de la pression que les footballeurs de cet âge-là se mettent à eux-mêmes, a fortiori dans un club de la dimension de Manchester City, mais peut-être aussi d’un contexte familial tout aussi pesant.

« Si les parents comptent sur lui pour faire vivre la famille, et que le jeune est rejeté, exclu du centre de formation, forcément, il est dans ce mécanisme où il déçoit la famille, ne répond pas aux attentes de la famille, alors que tout reposait sur lui. C’est intolérable psychologiquement, note Cécilia Delage. Heureusement que tous les jeunes qui vivent de telles situations ne mettent pas fin à leurs jours. Sinon, ce serait compliqué… Je pense que cela reste un fait isolé, marquant, qui interroge sur certaines questions, dans la manière d’accompagner les joueurs. » Que fait-on justement en France pour accompagner ces joueurs sur le chemin du bien-être, du mieux-être, tout au long de leur cheminement vers une carrière professionnelle, qu’elle soit couronnée de succès, ou pas ?

La difficile intégration de la psychologie

En France, l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) se déplace dans les clubs et les centres de formation. « Sur le temps qui est admis au syndicat, suivant la priorité des joueurs, nos associations peuvent plancher sur certains aspects. Si un joueur s’ouvre par rapport à des troubles psychologiques, l’UNFP va pouvoir le diriger vers la cellule psy », indique Vincent Gouttebarge, de la FIFPro. C’est un avantage que la France partage avec l’Angleterre et l’Australie, mais il reste encore de très nombreux pays où une telle plateforme de soutien n’existe pas, malheureusement, précise Vincent Gouttebarge. Le travail reste à faire.

En France toujours, selon l’article L231-6 du code du sport, les sportifs de haut niveau doivent se soumettre à « un bilan psychologique visant à dépister des difficultés psychopathologiques pouvant être liées à la pratique sportive intensive ». Une fois par an, les clubs doivent s’y astreindre. Le bilan psychologique peut être réalisé « par un psychologue clinicien » à la demande du médecin du club, peut-on y lire. Pendant très longtemps, Marc-Antoine Verkrusse a été l’unique psychologue du sport employé à temps plein (certains psychologues officiant dans nos clubs ont le statut de prestataire externe) par un club de football professionnel, au LOSC, de 2006 à 2017. Il avait été recruté dans un projet de restructuration du centre de formation, initié à l’époque par Jean-Michel Vandamme, son directeur.

« Je me suis rendu compte que les clubs professionnels faisaient de temps en temps appel à des spécialistes, et depuis bien longtemps, mais que c’était surtout pour jouer les pompiers de service, quand il y avait le feu au lac, constate-t-il. On essayait d’éteindre le feu et quand tout allait bien, ça disparaissait. J’ai la particularité d’avoir joué au foot, en particulier au LOSC, ce qui a facilité mon introduction dans un milieu aussi particulier que celui du football professionnel », assure-t-il. Jean-Marc Verkrusse s’est donc fondu petit à petit dans le décor, « à force de temps et de pédagogie » toutefois, non sans rencontrer des poches de résistance, « à tous les niveaux », surtout au début de sa très longue aventure dans le Nord de la France.

La place du psychologue n’est pas faite, il lui faut encore se frayer un chemin aujourd’hui. « En étant sur la pointe des pieds dans un milieu où il ne faut marcher sur le territoire de personne », recommande Delphine Herblin, psychologue clinicienne, habituée à travailler avec des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2. Elle ajoute: « Le problème du psy dans le club, c’est que c’est récent comme intégration. Il a besoin de trouver sa place et donc que les jeunes perçoivent l’intérêt du psy, le fait qu’il est là pour les accompagner, pas pour les dénoncer. Ils ont la sensation qu’ils sont évalués et que s’ils n’ont pas une bonne évaluation psy, ça va leur jouer des tours. »

« C’est le cercle un peu vicieux du milieu »

Car c’est un fait clairement identifié par les psychologues que nous avons interrogé, les joueurs peuvent parfois avoir tendance à mentir ou à occulter certains aspects. « On va demander aux jeunes dans quel état ils sont, comment ils vont, pour essayer de repérer leurs facteurs de vulnérabilité, mais de ce qu’ils me disent en privé, c’est qu’à la psy ou au médecin de la structure, ils ne révèlent pas leur état. Ils donnent des réponses un peu stéréotypées, mais qui ne sont pas honnêtes, nous apprend Delphine Herblin. Pour la simple et bonne raison qu’ils ont la crainte, en étant honnêtes sur leur état, que cela puisse les écarter du  groupe ou nuire à leur intégration. »

« C’est le cercle un peu vicieux du milieu et du contexte », reconnaît Cécilia Delage. Les joueurs ont peur de perdre leur place parce que la concurrence est rude. La pression, qui est énorme, conditionne les comportements. Une petite douleur à la cuisse ? Le joueur préfère la dissimuler pour avoir sa chance lors du prochain match. « Sauf que, manque de bol, la cuisse lâche sur le match et on se retrouve avec un arrachement osseux du psoas. Et un arrêt de quatre mois », souffle Cécilia Delage. Dès lors, comment éviter que la défiance s’installe et au contraire, les inciter à parler ? Difficile de généraliser sur la façon de faire tant il y a de cas différents qui méritent un traitement individuel spécifique. 

« A chaque début de saison, je propose des entretiens individuels avec les joueurs, explique Cécilia Delage. Je ne peux pas voir tous les joueurs, c’est trop compliqué. Par contre, on a identifié les joueurs qui auraient potentiellement des difficultés. C’est soit l’entraîneur, qui l’identifie, soit le joueur lui-même, qui fait la démarche vers moi, soit le kiné ou médecin qui évalue à un moment donné une difficulté, et qui le renvoie vers moi. Quand je vais sur le terrain et que je vois certaines réactions, j’essaye de me questionner. J’en parle au joueur et je lui demande si on peut en discuter, pour essayer de voir comment il peut gérer ça. Soit ça découle d’une mauvaise gestion d’émotion liée au terrain, soit c’est lié à un problème extra sportif qui a une incidence sur un aspect terrain. »

« Là où je pense qu’on avait bien travaillé à l’époque, avec Grégory Dupont (ancien préparateur physique de l’équipe de France, parti au Real Madrid depuis), c’est qu’il y avait eu tout un travail de prévention sur les blessures, notamment l’impact psychologique sur les blessures, atteste Marc-Antoine Verkrusse. L’idée, c’était de détecter avec eux des facteurs de risques qui pouvaient leur permettre un travail de prévention, même psychologique. Finalement, ils seraient gagnants en évitant les blessures, pour jouer plus souvent. On faisait en sorte de croiser un maximum de données pour leur offrir des portes de sortie par rapport à ça. »

Le psychologue au service du recrutement, « pour une évaluation plus fine »

Si les psychologues s’appuient volontiers sur les observations des autres professionnels engagés, comme eux, dans la réussite du club au quotidien, pour une meilleure détection des facteurs de vulnérabilités, ils investissent aussi d’autres champs d’interventions, le recrutement notamment. Au LOSC, sous la direction de François Vitali (actuellement à l’ESTAC, passé par l’AS Monaco et le Cercle Bruges…), responsable à l’époque du recrutement des jeunes, les scouts pouvaient croiser un maximum de données, l’idée étant de prévenir les risques dans un sport où les enjeux financiers arrivent de plus en plus tôt, avec un environnement qui va se multiplier autour du joueur, et vite le dépasser.

Les fréquentations du joueur, son entourage, son équilibre de vie, vont venir impacter la performance, sa capacité à maintenir les efforts dans le temps, à garder le cap, la motivation. « Les clubs tiennent compte aujourd’hui, à la fois des capacités physiques et techniques du joueur mais aussi, et de plus en plus, de leur personnalité et de leur entourage, éclaircit Delphine Herblin. Cela fait quelques années qu’on s’en rend compte. C’est d’ailleurs prédictif de la réussite des jeunes qui sont équilibrés, qui ont un entourage sain, avec une bonne structure de base. Ils ont plus de chances de réussir. »

« On pourrait davantage professionnaliser cette évaluation de manière à en tenir compte de manière plus objective, pense-t-elle. On peut questionner la vulnérabilité du joueur une fois qu’il est engagé. On pourrait, dès le début, repérer comment il fonctionne, ses facteurs de fragilité, pour l’accompagner au plus près de son fonctionnement. Certains joueurs ont besoin d’être accompagnés serré, d’autres ont déjà un environnement familial très structuré. Ils en auront moins besoin. On pourrait faire une évaluation plus fine, elle permettrait d’avoir un accompagnement sur mesure. L’oisiveté et l’ennui vont générer de l’anxiété chez certains joueurs. Il faudrait un emploi du temps plus structuré pour qu’ils aient moins de déviance. »

Penser l’enseignement de manière très différente, en y intégrant des experts aux profils plus variés « pour essayer de réfléchir à un enseignement football, transmettre du savoir être, des valeurs, du savoir différent, ouvrir le jeune joueur à d’autres dimensions », telle est la voie que notre spécialiste aimerait voir le football emprunter. « Je suis convaincu qu’en plus, au-delà du fait que cela servira à ceux qui auront échoué dans leur projet pour rebondir, et tant mieux pour eux, cela permettra d’éviter un carnage. Je pense qu’on formera de meilleurs footballeurs. »

Et si le salut des jeunes footballeurs passait aussi par les initiatives de leurs aînés ? Le défenseur néerlandais Grégory van der Wiel (passé par le PSG entre 2012 et 2016),  comme tant d’autres avant lui – joueurs, entraîneurs et même arbitres -, a révélé qu’il souffrait de crises de panique et d’anxiété en raison des difficultés rencontrées dans sa fin de carrière. Une prise de parole publique courageuse qui pourrait encourager les jeunes à se dévoiler plus facilement. « Les pros qui vont communiquer sur le sujet, c’est une fenêtre qui s’ouvre », estime Delphine Herblin.

https://rmcsport.bfmtv.com/football/foot-et-depression-la-psychologie-pour-aider-les-joueurs-un-tabou-qui-s-estompe-2008270.html

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