Le « justicier » a fini par rendre des comptes à la justice. Ecouter l’Equatorien Byron Aldemar Moreno Ruales narrer son histoire à RMC Sport, dans le documentaire Erreur consacré aux plus grands scandales d’arbitrage de l’histoire et diffusé ce jeudi soir dans l’émission Transversales sur RMC Sport 1, c’est comprendre combien le football marque la vie de certains hommes. Combien il les définit. Byron Moreno a tenté de se lancer dans la politique. Il a passé du temps derrière les barreaux. Mais pour tous, Byron Moreno n’est synonyme que d’une chose: la défaite de l’Italie face à la Corée du Sud sur but en or (1-2) le 8 juin 2002 à Daejeon (Corée du Sud) en huitième de la Coupe du monde. A l’époque, l’homme vit « un rêve » de gosse.
Amoureux du ballon rond mais « footballeur frustré » (dixit Fabian Gallardo, journaliste pour Radio Area Deportiva) dans sa jeunesse, où il est notamment passé par le centre de formation du Deportivo Quito, le jeune Byron Moreno se tourne vite vers l’arbitrage grâce à son père, « inspecteur des arbitres » (celui qui les évalue). « L’accompagner, rencontrer et discuter avec d’autres arbitres, c’est ce qui a créé cette vocation, se souvient-il à notre micro. Pourquoi j’ai voulu devenir arbitre? Parce que j’aime la justice, le football et que je voulais participer à une Coupe du monde. »
« El Justiciero »
Premier match officiel? A dix-neuf ans. Quatre ans plus tard, il officie déjà en première division, « plus jeune que les joueurs » rappelle-t-il dans un sourire. Et il commence à se faire une réputation. Il raconte: « Lors de la première saison en première division, j’ai arbitré un match entre Rincrosi et Delfin qui s’est terminé à la 78e minute car une des équipes n’avait plus assez de joueurs. J’ai sorti trois joueurs d’une équipe et cinq de l’autre. » Son surnom, « El Justiciero » (« Le Justicier »), qui lui vaut des comparaisons avec l’arbitre argentin Javier Castrilli, vient de naître. « C’était un arbitre très respecté, toujours implacable, témoigne Roberto Machado, journaliste pour Radio Ecuador. Il donnait beaucoup de cartons, il était drastique. Je crois qu’il aimait être le justicier. »
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AFP – Byron Moreno (en vert) met un carton rouge à l’Argentin Marcelo Gallardo
« Je ne permettais pas le jeu violent ou les simulations, poursuit l’intéressé, dont la fille Mishelle raconte qu’il savait aussi jouer du carton à la maison. Mon style était de faire respecter le règlement. S’il fallait exclure un joueur à dix secondes de la fin, je le faisais. S’il fallait accorder dix penalties, je le faisais. (…) J’étais autoritaire mais sans jamais faire preuve d’autoritarisme. » De quoi le mener à devenir « arbitre international Fifa » en 1996. Les belles compétitions s’enchaînent: Copa America, Copa Libertadores (il a notamment arbitré la finale en 1997), Copa Sudamericana ou encore Mondial U17. Jusqu’au Graal de la Coupe du monde, deuxième arbitre équatorien de l’histoire à recevoir cet honneur, « une récompense pour le travail d’une vie ».
Il n’a que trente-deux ans lorsqu’il débarque en Corée et au Japon. Un Mondial qui va changer sa vie. Au premier tour, il officie lors de la victoire surprise des Etats-Unis sur le Portugal (3-2), un match sans encombre pour lui. Il est ensuite désigné pour le huitième entre une Italie bien armée mais qui a un peu galéré au premier tour (deuxième de son groupe) et une Corée du Sud inépuisable à domicile et qui a terminé première de sa poule derrière le soutien de tout un peuple, un dernier match pour lui dans la compétition qu’il aborde sans ses assistants habituels « avec beaucoup de sérénité et en suivant les consignes de la Fifa: être sévère avec les simulations et les mauvais gestes ».
« Honte », « scandale », « arnaque », « vol », « complot »
La rencontre, avant laquelle personne ne remet sa désignation en doute hormis… les Italiens (« Il y avait de gros doutes car sa carrière n’avait pas été marquée par de grandes prestations », explique Xavier Jacobelli, directeur du quotidien Tuttosport), va le transformer en paria absolu en Italie. Il y a le coup de coude d’un Coréen non sifflé sur Del Piero. La faute sur Gianluca Zambrotta qui aurait pu mériter un rouge. Une faute dans la surface non sifflé sur Francesco Totti, en prolongation, à qui il inflige un second jaune synonyme d’expulsion. Le but en or refusé à Damiano Tommasi pour un hors-jeu plus que limite.
AFP – Byron Moreno (en noir) lors du huitième du Mondial 2002 entre l’Italie et la Corée du Sud
A chaque fois, et encore près de dix-huit ans après ce qu’il définit comme « l’un de (s)es meilleurs matches », celui qui semblait souvent à la rue physiquement lors de ce match (en retard pour suivre les joueurs) a une explication qui peut se tenir, rejetant souvent la faute sur ses assistants. Mais l’impression d’ensemble est terrible. Au bout de tout ça, les locaux arrachent l’exploit et la qualif’ (2-1) avec un but décisif signé Ahn Jung-hwan. Séisme sur la planète football. Surtout de l’autre côté des Alpes, où il y a forcément un loup si la grande Italie a été sortie par la petite Corée (sur le plan du football bien sûr). Très vite, le sélectionneur Giovanni Trapattoni crie au « complot » pour favoriser le pays hôte. Sur les plateaux télés italiens, les consultants s’en donnent à cœur joie. « Honte », « scandale », « arnaque », « vol », le champ lexical du genre est balayé.
Certains vont jusqu’à demander à la fédération italienne de retirer Pierluigi Collina, arbitre transalpin alors considéré comme le meilleur de la planète, du Mondial en protestation. Même les hommes politiques, à l’image du ministre Franco Frattini, s’y mettent. Sepp Blatter, président de la Fifa, désamorce la bombe en affirmant qu’il n’y avait « ni plongeon ni penalty » sur Totti et que les arbitres de touche n’ont pas aidé la prestation de Moreno. L’instance mondiale du football finira par ouvrir une enquête sur l’Equatorien quelques mois plus tard, après un autre épisode dans son pays (on va y venir), avant de classer l’affaire en janvier 2003.
Moqué, voire plus, à la télévision italienne
« J’étais heureux car je n’avais rien à cacher et qu’on avait commencé à dire que la Corée m’avait acheté, se souvient l’homme au centre des débats. On avait dit que la Corée m’avait donné des voitures. Si c’était le cas, elles ne sont jamais arrivées! La commission s’est réunie et il en est ressorti qu’il n’y avait rien d’anormal dans mon arbitrage. Ils ont déclaré mon innocence. Personne ne m’a jamais proposé d’argent au Mondial ou dans ma carrière. » Mais le mal est fait. La presse italienne se met à suivre ses faits et gestes, presque à le traquer. Une télévision lui offre 300.000 dollars pour témoigner. Refus. Avant d’accepter quelques mois plus tard en raison du « respect » montré par un présentateur (et ancien footballeur) José Altafini.
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Problème? En parallèle de l’interview sportive, il faut aussi prendre part à des sketches. Où on se moque ouvertement de lui, et même plus. « Il a déformé son image. Je ne sais pas s’il avait à ce point besoin d’argent pour accepter mais ça a été très mal vu ici car il a manqué de dignité, indique Roberto Machado. Ce n’est pas Byron Moreno mais d’une certaine façon tout le peuple équatorien qui a été insulté. » A l’école, sa fille doit subir les quolibets. D’autant que le passage à la télé italienne n’est pas le seul épisode qui le place dans la tourmente. Le 8 septembre 2002, pile deux mois après Corée du Sud-Italie, Moreno arbitre le choc équatorien entre les rivaux du Liga Deportiva Universitaria de Quito et le Barcelona Sporting Club.
Ce dernier, qui n’a pas gagné sur le terrain adverse depuis vingt-deux ans, mène 3-2 à la 90e minute. Mais l’homme en noir va faire tourner les arrêts de jeu… treize minutes, le temps pour Quito d’égaliser puis de marquer le but vainqueur. S’il continue d’affirmer avoir respecté le bon timing (il explique notamment que les joueurs ont mis trop de temps à reprendre après l’égalisation), le contexte est terrible pour celui qui sort du terrain sous escorte policière. Moreno vient en effet de déclarer sa volonté de s’engager en politique dans l’espoir d’être élu au conseil municipal de Quito (candidat du Parti rénovateur institutionnel de l’action nationale, il ne le sera finalement pas). Le raccourci est rapide, appuyé par Leonardo Bohrer, président du Barcelona SC: on lui reproche d’avoir fait gagner Quito pour favoriser son élection. « C’est ce qui a détruit sa carrière nationale et internationale », estime Fabian Gallardo. « Il n’a plus jamais été le même », confirme Roberto Machado.
Six kilos d’héroïne
D’abord suspendu un match, il voit la commission de la fédération monter la note à… vingt rencontres. Une décision « injuste, absurde » et « prise sous la pression », selon ses mots, qui pousse la Fifa à ouvrir son enquête et à lui retirer le statut d’arbitre international. De retour sur les terrains, il reprend vite une suspension d’un match pour une rencontre où il a distribué trois cartons rouges. La goutte de trop. Au printemps 2003, il présente sa démission à sa fédération et met un terme à sa carrière d’arbitre. « C’était la décision la plus difficile de ma vie mais JE suis parti, J’AI pris ma retraite, insiste l’intéressé. J’ai décidé de laisser une partie de ma vie de côté pour ne pas faire partie d’un cirque et permettre qu’on bafoue mon honneur. »
AFP – Byron Moreno (deuxième en partant de la droite) lors de la Coupe du monde 2002
Il va s’en charger lui-même. Devenu consultant télé derrière sa notoriété, il ouvre une académie pour arbitre, fier d’avoir formé plusieurs internationaux à qui il dit avoir inculqué « la transparence, l’honneur, la discipline », qui s’arrêtera assez vite en raison de soucis personnels financiers. Il se sépare de sa femme, aussi, pour une nouvelle compagne plus jeune et déménage à Guayaquil où la légende veut qu’il développe un amour prononcé pour le monde de la nuit. En dehors de ses frontières, à part peut-être en Italie, on l’oublie. Mais il va revenir dans l’actualité de façon fracassante. En septembre 2010, il est contrôlé à la douane de l’aéroport JKF à New York, après un vol en provenance de Quito, et les agents trouvent sur lui dix sachets d’héroïne pour un total de six kilos!
« Ma compagne était enceinte et elle a contracté une maladie qui mettait en danger sa vie et celle du petit, qui est finalement décédé, se justifie-t-il aujourd’hui. J’ai eu une urgence financière et mon employeur m’a fait une avance de cinq mois mais ce n’était pas suffisant et j’ai donc cherché quelqu’un qui pourrait me prêter cet argent. L’urgence a fait que je ne me suis pas rendu compte qu’un taux d’intérêt de 25% par mois, c’était trop. Je pouvais en régler la moitié, mais eux voulaient tout. Et ça allait en croissant. Arrive un moment où l’on me dit qu’il va falloir s’occuper de ça. Je refuse. Ils savaient où je vivais, ce que je mangeais, où je travaillais. Ils connaissaient tous mes faits et gestes. La dernière fois où ils m’ont appelé, ils m’ont dit: ‘Si tu ne le fais pas, ta femme et ton fils meurent’. Ils m’ont mis dos au mur. »
Buffon n’a rien oublié
Au pays, différentes versions sont évoquées dans les médias. Arrêté (il dit avoir été balancé), il plaide coupable devant la justice américaine en janvier 2011 et peut écoper de dix ans de prison. Mais le juge, sensible à ses excuses et à son histoire personnelle (il a perdu un enfant très jeune et sa petite amie de l’époque avait fait deux fausses couches, dont une depuis son arrestation), le condamne seulement à deux ans et demi, la peine minimale. Incarcéré au Metropolitan Detention Center de Brooklyn, son comportement est exemplaire et Moreno sort après vingt-six mois. L’épisode fera réagir en Italie, où un certain Gigi Buffon expliquera que Moreno « avait déjà ses six kilos de drogue en 2002, pas dans son caleçon mais dans son corps ».
Lui veut passer à autre chose. « C’est facile de juger quand on est dans une zone de confort où l’on n’a pas dû traverser ce type de problèmes, confie celui qui a depuis retrouvé un poste de consultant radio. C’était une erreur bien sûr, et je la regrette. (…) Mais je suis encore là. J’ai 50 ans et encore tellement de choses à faire. » En Equateur, son histoire en a fait une sorte de star. « Les gens me reconnaissent, me saluent, prennent des photos, explique-t-il. C’est rare pour un arbitre. » Qui ne regrette rien malgré tout ce qui s’est passé. « Je n’ai aucune culpabilité sur le foot. La balance est positive. L’arbitrage ne m’a donné que des bonnes choses et mon amour pour lui ne se terminera jamais. » Tourner la page du passé, mais sans l’oublier, pour mieux écrire l’avenir. Les Italiens, champions du monde quatre ans après la Corée, connaissent la formule.
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