Avec cette saison tronquée pour les réserves des clubs professionnels et les équipes des centres de formation, les jeunes joueurs en fin de cursus naviguent entre les entraînements la semaine et les matchs amicaux le week-end. En pleine crise sanitaire, couplée à la crise économique que traverse le football français depuis le départ du diffuseur Mediapro, RMC Sport a essayé de comprendre comment les clubs ont géré l’attribution des contrats professionnels cette saison.
Les clubs professionnels avaient jusqu’au 30 avril pour faire connaître aux joueurs leurs envies pour la saison prochaine. Les footballeurs aux portes du monde pro se retrouvent donc à la croisée des chemins, avec un contrat professionnel pour certains ou un départ du club pour les autres.
« Les deux crises n’ont fait qu’accentuer ce phénomène avec énormément de jeunes joueurs qui ne sont pas conservés par les centres de formation, constate Badou Sambagué, avocat mandataire sportif. Dans les clubs, on va avoir deux discours. Le premier va être pour des jeunes qu’on souhaite conserver. Les clubs vont demander, la plupart du temps, de la patience. Pour plusieurs raisons: le club peut jouer le maintien, le club veut déterminer ses revenus pour la saison prochaine, etc. Le deuxième discours va être pour les joueurs qui ne seront pas conservés et là le club va recommander le profil à d’autres équipes. C’est pour cela qu’on voit régulièrement des listes de joueurs circuler. »
« On ne les abandonne pas »
Dans le parcours d’un jeune joueur en centre de formation, l’objectif est de taper dans l’œil des formateurs, des recruteurs ou de l’entraîneur principal. Sans match officiel, se faire repérer par l’encadrement du groupe professionnel, ou des recruteurs extérieurs, est plus difficile. A Reims, l’entraîneur David Guion a souhaité prendre des jeunes tout au long de la saison dans son groupe. « C’est une année très difficile pour l’ensemble de ces garçons. A mon sens, sans compétition, ils n’ont pas pu progresser comme ils auraient pu le faire, avoue le coach du club champenois. Moi, j’ai souhaité prendre des jeunes pour leur montrer qu’on ne les abandonne pas et surtout pour leur donner l’opportunité de se montrer. »
Les performances en championnat étaient le premier facteur de jugement d’un jeune avant de passer professionnel. Avec la crise et l’arrêt des compétitions, les facteurs secondaires vont prendre de l’importance. Les entraînements, les matchs amicaux et les performances des années précédentes doivent servir de base aux formateurs pour statuer sur un potentiel contrat professionnel. « Certains joueurs se posent des questions, ils ont peur de ne pas pouvoir être jugés. Notre idée est de les juger sur l’état d’esprit dans ces moments difficiles, la gestion des émotions et le comportement à l’entraînement, décrit Manu Pirès, directeur du centre de formation de l’OGC Nice. De ma carrière, je n’ai jamais vu un développement aussi rapide que depuis l’arrêt des compétitions. Sans le stress, les garçons ont l’impression d’avoir progressé sur tous les plans. »
A Reims, le message est clair: il faut s’adapter. « Notre modèle d’évaluation ne change pas, l’entraînement assure la progression et le match permet de voir les acquis du joueur, affirme Yannick Menu, directeur du centre de formation. Il faut bien comprendre que nos jeunes joueurs sont restés actifs avec des matchs amicaux pratiquement tous les week-ends. Il n’y a que pour notre équipe de National 2 où c’est plus complexe. Aujourd’hui, le groupe de National 2 rencontre des autres centres de formation, avec une moyenne d’âge très jeune alors que d’habitude à ce niveau, on joue contre des équipes plus expérimentées. Au final, je ne pense pas que l’arrêt des compétitions ait changé quoi que ce soit sur les décisions concernant l’avenir de tel ou tel joueur. »
Mouhamadou Drammeh avec le Stade de Reims © Icon Sport
Passer par le monde amateur pour rebondir?
Si le club décide de libérer le joueur, le rôle de l’agent devient très important. Un mot d’ordre: l’anticipation. Le représentant doit trouver un nouveau chemin pour permettre à son joueur d’atteindre le monde professionnel.
« Aujourd’hui, on parle même de double anticipation, indique Badou Sambagué. Avant on devait anticiper une absence de contrat professionnel. On doit doublement anticiper ce risque-là car on a deux fois plus de joueurs qui ne sont pas gardés. On a donc deux fois plus de joueurs qui n’ont pas la chance de rebondir dans un club professionnel. Ils ne sont pas préparés à rebondir dans un club amateur. Quand ils pensent à l’OL, le PSG, le Stade de Reims et que demain vous devez leur dire qu’il faut passer par un autre chemin, un club amateur, pour retrouver le monde professionnel, ils ne sont pas prêts. Et c’est là le plus difficile. »
Le mental, une arme en période de crise
La performance, l’entraînement, la vie au sein d’un groupe… et le mental. Facteur important de la performance du sportif, déterminant en période de mercato. Avec cette situation instable depuis plusieurs mois, le représentant doit aujourd’hui évoquer avec le joueur un potentiel échec. Ce qui n’empêchera pas une réussite dans le futur. « C’est extrêmement important de parler d’échec même si on se doit de l’interdire au joueur, confie Badou Sambagué. Le joueur doit le combattre au maximum. Plusieurs grands joueurs, qui sont dans des grands clubs aujourd’hui, ont effectué un passage par des clubs intermédiaires, même des clubs amateurs. Il faut comprendre que chacun a son parcours, il est unique, et ça ne sert à rien de comparer deux parcours. »
D’autres ont pris le bon wagon. Comme Mouhammadou Drammeh, capitaine de la réserve de Reims sous contrat professionnel, qui a pu intégrer l’effectif Ligue 1 dans cette saison particulière. « J’ai eu la chance d’aller avec les professionnels rapidement donc je n’ai pas ressenti l’arrêt des compétitions au mois d’octobre, affirme le jeune joueur de 21 ans. On est des footballeurs de haut niveau, on est des compétiteurs. Malheureusement, avec la N2, on n’avait pas de compétition et donc s’entraîner sans objectif devient vite difficile. On sait que l’avenir se joue sur les matchs du week-end et sans ces matchs on s’interroge. Chacun essaye de prendre exemple sur les pros d’aller voir ce qu’il se passe plus haut pour avancer. » Contrat ou pas contrat, un parcours de footballeur n’est jamais rectiligne. Souvent perçu comme le Graal par les jeunes joueurs, les formateurs aiment rappeler que le contrat professionnel n’est qu’une étape dans une longue aventure.
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