La légende colle à Luis Fernandez comme un sparadrap sous une chaussure. Le sien se nomme Ronaldo de Assis Moreira, plus connu sous le nom de Ronaldinho. Le génie brésilien a illuminé le Parc des Princes deux saisons durant, de 2001 à 2003, sous les ordres du technicien français. Mais l’histoire entre les deux ne s’est pas bien terminée. Et Luis restera comme le coach qui a mis Ronnie sur le banc au PSG. C’était au début de l’année 2003. Trois rencontres de Ligue 1 en dehors de la feuille de match, les déplacements à Ajaccio (0-0) et Nice (0-0) avec au milieu la réception du Havre (1-0), puis quatre en tant que remplaçant, contre Marseille en Coupe de France (2-1) puis contre Lille (1-0) et à Strasbourg (0-1) et Bastia (1-0) en championnat. Un sept dehors en forme de punition et conséquence d’une situation dégradée au fil des mois. 

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« La première année, c’est un plaisir pour tout le monde »

Pour mieux comprendre, il faut rembobiner le fil. Après plusieurs mois sans jouer, conflit juridique avec son club formateur du Gremio oblige, Ronaldinho enfile pour la première fois le maillot parisien – pour lequel il a été conseillé, tout comme le club dans le sens inverse, par un certain Raï – en compétition lors de la deuxième journée de la saison 2001-2002, à Auxerre. Après un logique temps d’adaptation, où le staff le couve, le Brésilien s’impose comme un titulaire indiscutable et régale. Dribbles envoûtants, explosivité, technique en mouvement, virgules, le garçon s’amuse sur les pelouses françaises. « Ronaldinho la première année au PSG, c’est un plaisir pour tout le monde », glisse Luis Fernandez.

Ronaldinho sous le maillot du PSG en janvier 2002 AFP – Ronaldinho sous le maillot du PSG en janvier 2002

Sur le terrain, avec treize buts et sept passes décisives en trente-neuf matches (vingt-six titularisations) qui aident le club de la capitale à terminer quatrième du championnat, mais aussi en dehors. « A l’époque où je commence à m’entraîner avec le groupe pro, je suis tout juste majeur et je n’ai pas encore le permis, raconte l’ancien joueur parisien Jean-Michel Badiane. Il me proposait de me ramener chez moi, il me donnait un horaire le matin pour venir me récupérer à la gare… Il n’était pas obligé de le faire. Concrètement, je ne suis pas brésilien, je ne suis pas un ami proche ou de sa famille, mais il m’avait senti comme ça et c’était cool. » 

« Oh les enfants! J’en ai fait un champion du monde de Ronaldinho! »

Le sélectionneur brésilien, lui, est plus que convaincu à l’approche de la Coupe du monde au Japon et en Corée du Sud. « A la fin de la saison, Luiz Felipe Scolari demande à nous voir pour nous dire: ‘Bravo! Ce que vous avez fait avec Ronnie, c’est merveilleux’, se souvient Luis Fernandez. Oh les enfants! J’en ai fait un champion du monde de Ronaldinho! » La Seleçao se pare d’une cinquième étoile dans une compétition notamment marquée par le sublime coup-franc de Ronnie qui surprend David Seaman en quart face à l’Angleterre (2-1). A 22 ans, l’artiste est déjà sur le toit du monde. Il va avoir du mal à en redescendre. « Quand il est rentré à Paris, ça a été la fête, rappelle Laurent Perpère, alors président du PSG. Il avait notamment été reçu à l’Hôtel de Ville. »

La tête se perd un peu et les prémices du conflit avec son coach commencent à s’écrire, même si ce dernier veut encore y croire. « En le voyant revenir, je m’étais dit qu’on allait être champion et tout gagner, qu’on allait faire une saison top avec lui », reconnaît Luis Fernandez. Mais ce titre « lui a donné un statut différent l’a peut-être lesté d’une gravité qu’il n’avait pas la première année, même si tout est relatif s’agissant de Ronaldinho » (Laurent Perpère). « Il commence à lâcher, appuie son entraîneur de l’époque. On a l’impression qu’il est dans une certaine décontraction. » Tout sauf illogique, d’ailleurs. « Il faut se mettre à sa place, estime Jean-Michel Badiane. Le gamin a 22 ans. Il y a un certain nombre de paramètres qui changent, sa famille qui n’est plus là puisqu’il décide de vivre tout seul, sans doute d’un commun accord. Il est champion du monde, il a toute l’Europe à ses pieds. Il n’y a pas besoin d’être dans le football pour savoir que ce n’est plus le même bonhomme qu’on va retrouver au Camp des Loges. »

« On a passé tous les dimanches ensemble à boire »

Le temps va faire son œuvre, goutte après goutte, poison long. « Dans les cinq premiers mois, ça se dégrade petit à petit, confirme Luis Fernandez. Ce n’est pas tout de suite. Ça va être de plus en plus… Il va y avoir un malaise, un problème, une difficulté. » la gloire footballistique est là. Les tentations vont avec. Le monde de la nuit lui ouvre ses bras et Ronnie ne refuse pas l’étreinte. « Il n’avait jamais bu un verre d’alcool de sa vie avant d’arriver à Paris car son père avait eu des problèmes d’alcoolisme, affirme Eric Lovey, son conseiller qui avait pris son frère Roberto sous son aile lorsqu’il évoluait en Suisse et qui est depuis resté très proche de la famille. Peut-être que la seconde année à Paris, il a découvert un peu plus l’alcool… »

Ronaldinho avec le PSG en octobre 2002 AFP – Ronaldinho avec le PSG en octobre 2002

Son proche a beau tenter de nuancer, la chose avait bien commencé dès la première année. Selim Benachour, ancien coéquipier et partenaire de chambre, avait raconté dans le Vestiaire sur RMC Sport une veille de match au Parc durant laquelle il avait reçu vingt-cinq appels d’un ami « qui était dans le milieu de la nuit à Paris ». Et qui lui demande si le Brésilien est avec lui lorsqu’il le rappelle au matin. Réponse positive. « Et là, il me dit: ‘Ah bon? Car je l’ai vu devant le Barrio Latino à cinq heures du matin en train de vomir’. » Les anecdotes façonnent la légende. Elles évoquent surtout le mode de vie d’un gamin « plus carioca que gaucho même s’il est né à Porto Alegre » (Eric Lovey). « On était ensemble tous les dimanches pour des barbecues à la brésilienne où on réunit toute la famille et on boit toute la journée, raconte l’ancien défenseur parisien Paulo César, compatriote arrivé au PSG à l’été 2002. Il faisait des caïpirinhas au miel et c’était très beau. On a passé tous les dimanches ensemble à boire. »

« S’il sortait tous les soirs mais qu’il avait fait gagner l’équipe tous les week-ends, j’aurais été faire la fête avec lui » 

« Je pense qu’il a besoin de boire pour… Il a une forme de timidité, de retenue maladive », analyse Eric Lovey. Laurent Perpère propose une explication plus terre-à-terre: « Il avait à peine vingt ans et il avait envie de s’amuser, de profiter de Paris et de la vie ». Mission accomplie. Jusqu’au bout de la nuit. « Il sortait, il rentrait, il ne s’entraînait pas beaucoup, il repartait à la maison, il dormait, il s’entraînait avec un préparateur physique, un cousin qui habitait avec lui, et c’était reparti pour la nuit », énumère Paulo César. Souci? Luis Fernandez ne l’entend pas de cette oreille. « Au Camp des Loges, à l’époque, les gens qui faisaient la sécurité faisaient aussi celle de restaurants et de boîtes de nuit, se souvient le coach français. Et quand tu arrives le premier au centre d’entraînement, on te dit que la veille Ronnie était à tel endroit avec des amis ou des journalistes. Je ne pouvais pas lutter là… »

« A chaque fois qu’il arrivait à l’entraînement, Luis lui disait: ‘Alors tel restaurant était bon hier? Et cette boîte de nuit?’, enchaîne Paulo César Ronnie s’est rendu compte que Luis le suivait. » « Ils n’ont jamais trouvé l’équilibre, juge Eric Lovey. Luis a exagéré et Ronnie a exagéré aussi. » N’allez pas dire ça au technicien… Il s’en insurge. « Mais je n’ai rien fait moi! Je lui ai laissé de la liberté! Mais quand tu as une liberté, sur le terrain, il faut que tu puisses être le Ronnie qu’on a connu la première année. Tu n’as que 22 ans, tu n’es pas fatigué! On peut quand même te demander de nous faire gagner des matches! S’il sortait tous les soirs mais qu’il avait fait gagner l’équipe tous les week-ends, je l’aurais accompagné, j’aurais été faire la fête avec lui. Avec plaisir! » 

« Il va te la raconter comme il veut l’histoire… »

Plusieurs épisodes marquent l’incompréhension mutuelle. Il y a celui de novembre 2002 et la mise au vert… d’après-match (!) décidée par Luis Fernandez. « On l’a attrapé en flagrant délit à monter des filles dans l’hôtel », lance ce dernier. Grand écart des vues, même près de dix-sept ans après. « Ce n’était pas des filles, précise Eric Lovey. Ronaldinho avait une copine à Paris et il est venu me demander si je pouvais lui laisser ma chambre. » « Il va te la raconter comme il veut l’histoire, tranche Luis Fernandez. Il s’en est excusé car c’était un cadeau qu’il avait promis à Ronnie. ‘Ah, tu fais ce cadeau maintenant? Tu fais venir des filles quand on est à l’hôtel?' » Laurent Perpère semble basculer dans un camp plutôt que dans l’autre. « Après un match, les joueurs ont une décharge d’adrénaline, souligne l’ancien président du PSG. Les mettre au vert et leur dire silence couvre-feu, c’est quelque chose d’incompréhensible. Et mettre quelqu’un dans le couloir pour surveiller, c’est quasiment de la provocation. »

Ronaldinho sous le maillot parisien en octobre 2002 AFP – Ronaldinho sous le maillot parisien en octobre 2002

Deux semaines après cet épisode, le dirigeant parisien s’offre une sortie fracassante dans Le Monde: « Se passer des services de Fernandez serait moins préjudiciable que de laisser partir Ronaldinho ». Aucun regret. « Se passer des services d’une star absolue et se passer des services d’un entraîneur, aussi talentueux soit-il et il était très talentueux sans aucun doute, il n’y a pas photo », continue de penser Laurent Perpère aujourd’hui. « Moi, je me bats pour le club. Je pense collectif. Je pense à l’institution », répond Luis Fernandez. Le dernier mit à son ancien patron: « Si vous dévalorisez le joueur et que vous le mettez dans des conditions où sa valeur baisse, vous ne respectez pas l’institution non plus. »

« Donc tu nous mens! Tu ne nous respectes plus! »

Pas faux. Mais le manque de respect peut marcher dans les deux sens et c’est bien celui du joueur qui va marquer une rupture quasi définitive. « Dans cette deuxième saison, à la trêve, il rentre au Brésil et revient une dizaine de jours en retard, se souvient Luis Fernandez. On te dit qu’il a été chez un dentiste pour se faire arracher des dents. Mais le médecin du club m’a dit qu’il ne s’était pas fait arracher de dents. Donc tu nous mens! Tu ne nous respectes plus! » La goutte d’eau a fait déborder le vase et Ronaldinho ne sera pas titularisé pendant sept matches de rang. Impopulaire, la décision collera à la peau de son coach, surtout que le Brésilien se remet les supporters dans la poche en deux semaines avec un slalom dingue (et conclu sur un but) à Guingamp puis une démonstration de classe et de talent à Marseille avec deux buts au Vélodrome pour faire tomber l’OM.

« Quand il a décidé de faire et de réaliser, tu ne peux être qu’admiratif, admet Luis Fernandez. Et j’étais admiratif. Mais tu ne peux pas tout accepter… » Ronnie n’est plus dedans. « Il ne s’entraînait pas trop, reconnaît Paulo César. Parfois on nous demandait de faire un footing tous ensemble et il était tout seul derrière. » Les supporters pensent l’entraîneur sévère avec lui. Mais ils ne savent pas tout. « Parfois, à la mi-temps, ça lui m’est arrivé de me dire qu’il ne pouvait jouer encore que quinze-vingt minutes, pas plus, se souvient le technicien français. Car il savait qu’il n’était pas bien. Ce n’est pas Luis Fernandez qui le sortait. C’était à sa demande. » 

« Je n’ai pas envie de jouer, je pars avec toi »

Le futur Ballon d’Or 2005 choisit ses matches. Où il veut. Quand il veut. Parfois au-delà du lunaire. Il faut écouter l’anecdote de Paulo César pour mesurer la difficulté à apprivoiser un tel animal. Blessé au genou avant un match à l’extérieur, le Brésilien doit rentrer à Paris sur ordre du médecin du club. Et comme Ronnie partage sa chambre, ça lui donne des idées. « Il me dit: ‘Demain, je pars avec toi’. Je réponds: ‘Mais tu es fou! Et tu vas où? Tu as match demain! » Il dit: « Non, non, non, je n’ai pas envie de jouer, je pars avec toi ». Je lui demande comment il va faire et il me répond de ne pas m’inquiéter. On est en train de s’endormir et il met la climatisation à fond sur son visage. Je me réveille à six heures du matin, car j’avais le train, et il appelle le médecin pour lui dire de venir car il n’est pas bien. Le médecin lui donne un médicament et lui dit qu’il le renvoie à Paris car il ne peut pas rester ici. On prend le train, il est normal, on arrive et son chauffeur est là avec déjà des filles dans la voiture pour qu’il sorte. C’est ce qui s’est passé, c’était incroyable! Je lui ai dit: ‘Toi, tu es vraiment malade’. »

Ronaldinho avec le PSG en avril 2003 AFP – Ronaldinho avec le PSG en avril 2003

La saison se termine sur une onzième place en Ligue 1 et une finale de Coupe de France perdue (2-1) au Stade de France contre Auxerre, le premier et le dernier club qu’il aura affronté en tant que joueur parisien. Paris n’a gagné aucun titre en deux saisons avec Ronnie. Immense gâchis. L’intéressé, lui, a plutôt bien rempli la feuille de stats pour son dernier exercice parisien : trente-sept matches, dont vingt-neuf titularisations, pour douze buts et dix passes décisives. Loin de la légende renforcée avec le temps qui veut qu’il ait passé sa seconde saison en France à cirer le banc. Mais le sentiment d’inachevé reste en bouche. « C’est un jeu dans lequel personne n’a gagné, approuve Paulo César. Ronaldinho a perdu, Luis a perdu, et toute l’équipe a perdu. » Les deux, tous comme Laurent Perpère, quittent le club à l’intersaison 2003 pour différentes raisons. 

« C’est un artiste, et il faut respecter l’artiste » 

Le Brésilien ne portera plus jamais le maillot du PSG. Mais « il a une place dans l’histoire du club » dixit Raï. « Il était tellement magique. L’avoir vu deux saisons au PSG, c’est déjà un grand plaisir, poursuit la légende brésilienne. Mais le sentiment qui reste, c’est qu’on pouvait vivre des moments plus forts et plus souvent avec lui. C’est le seul regret. » La nouvelle direction, avec Francis Graille en président et Vahid Halilhodzic sur le banc pour reproduire un duo qui a bien marché à Lille, n’arrivera pas à conserver la pépite malgré une volonté de le convaincre de rester. « Il n’y a aucun doute » sur un départ, avait répondu Roberto, le frère et agent de Ronnie, à la table d’un restaurant étoilé de la capitale. Le Brésilien rejoint Barcelone. Où il aura moins de comptes à rendre même s’il « sortait beaucoup plus qu’à Paris » (Eric Lovey). « C’est un garçon qui aimait être avec des amis, jouer de la guitare, etc, pointe Joan Laporta, président du Barça de 2003 à 2010. C’est un artiste. Et il faut respecter l’artiste. » Luis Fernandez avait préféré le bâton à la carotte. Il lui en reste un sparadrap sous les crampons. 

https://rmcsport.bfmtv.com/football/caipi-au-miel-clim-sur-le-visage-et-filles-a-l-hotel-les-secrets-de-la-fin-de-l-histoire-entre-ronaldinho-et-le-psg-1783062.html

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