Arrestation du journaliste français Loup Bureau, désaccords sur l’adhésion à l’Union européenne, gestion du conflit en Syrie… Depuis quelques années, et plus particulièrement depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, les relations diplomatiques entre la France et la Turquie se sont tendues. Mais le différend semble avoir atteint ces derniers jours son paroxysme, avec un président turc Recep Tayyip Erdogan appelant le chef d’État français à faire examiner sa santé mentale, après ses déclarations sur le « séparatisme islamiste » et la nécessité de « structurer » l’Islam en France.

Hasard du calendrier footballistique, c’est dans ce contexte international bouillant que le PSG, club de la capitale, se déplace cette semaine en Ligue des champions à Istanbul (mercredi, 18h55 sur RMC Sport 1). Pas pour y affronter Galatasaray, Fenerbahçe ou Besiktas, non, mais pour y défier Basaksehir, champion en titre de Turquie. Une jeune formation réputée pour sa proximité avec… Erdogan.

>>> Cliquez ici pour vous abonner à RMC Sport et profiter de la Ligue des champions

Un numéro retiré en l’honneur du chef d’Etat

Si vous n’aviez jamais entendu parler d’Istanbul Basaksehir avant ces dernières années, voire ces derniers mois, c’est normal: c’est la première fois que le club participe à la phase de poules de la Ligue des champions. Surtout, son histoire est très récente. Créée en 1990 sous le nom d’Istanbul Büyüksehir Belediyespor, l’équipe stambouliote a longtemps végété en deuxième division. Avant de passer dans un autre monde en 2014.

Cette année-là, le club est racheté à la municipalité d’Istanbul par des proches de l’AKP, le parti politique Erdogan, alors en pleine campagne pour l’élection présidentielle. Et on comprend très vite que le futur dirigeant compte en faire un instrument de pouvoir. Istanbul BB change de nom lorsqu’il déménage dans le quartier de Basaksehir, un bastion islamo-conservateur de 350.000 habitants créé par Erdogan (ancien maire de la ville) dans les années 90, et se pare d’orange, la couleur de l’AKP – coïncidence selon les dirigeants.

Istanbul Basaksehir devient vite sponsorisé par Medipol, un groupe hospitalier privé dirigé par le médecin personnel du président, Farhettin Koca (aujourd’hui ministre de la Santé), ou Turkish Airlines, multinationale proche du pouvoir. Sa nouvelle enceinte, le stade Fatih-Terim, est en outre construite par une entreprise qui œuvre régulièrement pour le gouvernement. A noter à ce sujet une magnifique anecdote: pour l’inauguration de l’arène en juillet 2014, un match de gala est organisé. Avec, parmi les joueurs présents sur la pelouse, un certain Recep Tayyip Erdogan. Ce soir-là, l’homme politique fait parler sa technique, et inscrit un triplé. En son honneur, le numéro 12 (qu’il portait dans son dos) a donc été retiré. « Il ne sera plus jamais donné à personne », explique à RMC Sport Göksel Gümüsdag, le président du club, en rejetant cependant toute accusation de favoritisme.

Ah oui, il faut d’ailleurs préciser que Gümüsdag a épousé une nièce de l’épouse du président turc, ce qui fait de lui son neveu par alliance… Alors, même si le coach Okan Buruk s’obstine à expliquer qu’Erdogan « aime le foot et a aidé tous les clubs à se développer », ce qui est en partie vrai, et que « tout le monde sait qu’il est un supporter de Fenerbahçe », difficile de nier les liens entre Basaksehir et le pouvoir en place.

Le numéro 12 retiré Icon – Le numéro 12 retiré

Une ascension sportive fulgurante, jusqu’au titre en juillet 2020

Avoir l’appui du gouvernement et de riches sociétés aide forcément à se développer. Si pendant des années Basaksehir a dû faire sans joueur de renom, il est passé à la vitesse supérieure suite à son rachat. A partir de 2015, des footballeurs au CV bien rempli sont peu à peu venus grossir ses rangs: Emmanuel Adebayor, Gaël Clichy, Arda Turan, Demba Ba, Mevlut Erding, Robinho, ou plus récemment Martin Skrtel. Les résultats s’en sont ressentis.

« Sur mes trois ans là-bas, on a fait troisième, puis deuxième, et on a fini champion l’été dernier », souligne avec fierté Gaël Clichy, arrivé en 2017 à Basaksehir et reparti après le sacre. Il faut dire que la performance est considérable, dans un championnat historiquement dominé par Galatasaray (22 titres), Fenerbahçe (19) et Besiktas (15).

« Sur les soixante dernières années, seulement quatre équipes (cinq en réalité, ndlr) avaient réussi à remporter le titre en Turquie, poursuit le défenseur français, ancien d’Arsenal et Manchester City. C’est un club qui progresse d’année en année, avec un projet extraordinaire. Basaksehir recrute quelques joueurs avec de l’expérience, et autour de cela il achète beaucoup de jeunes joueurs, comme Enzo Crivelli, que les Français connaissent. Ils ne forment pas encore, mais c’est moins de gros noms que les autres. Et les infrastructures sont impressionnantes, ils n’ont pas peur de dépenser de l’argent pour mettre les joueurs à l’aise. »

Le premier titre de Basaksehir en juillet 2020 Icon – Le premier titre de Basaksehir en juillet 2020

Un stade vide, et des supporters adverses critiques

Pour s’attirer les faveurs du public, c’est une autre histoire. Malgré une capacité théorique de 17.000 sièges, l’affluence moyenne au stade Fatih-Terim avant la pandémie et les huis clos tournait autour de 3.000 ou 4.000 spectateurs, l’une des pires de la Süper Lig turque. Et Basaksehir, en sa qualité de nouveau riche aux mains d’Erdogan, est visé par des critiques de la part des supporters des autres équipes.

« Il faut dire que les trois grosses équipes d’Istanbul monopolisent le football turc, c’est compliqué de se faire une place, mais comme toute chose il faut du temps, veut croire l’attaquant international sénégalais Demba Ba. Ce manque de ferveur est peu bénéfique, parce que la folie des supporters peut te donner des ailes. Mais après tout dépend aussi des personnalités, certains joueurs galèrent un peu plus sous la pression. »

Quant au mépris adverse, l’entraîneur Okan Buruk, ancien joueur de Galatasaray et de Besiktas, a une théorie: « Basaksehir est une équipe qui fait peur aux autres, ça montre le respect qu’ils ont envers nous », estime-t-il, même s’il regrette que les médias locaux n’aient pas donné une aussi grande importance à leur premier titre de champion qu’ils l’auraient fait pour l’un des trois ogres.

Demba Ba est sur la même ligne: « Il y a toujours du mépris, mais c’est lié au fait que Basaksehir devient un concurrent (pour les clubs historiques). S’il était 10e ou 15e au classement tous les ans, les autres s’en ficheraient. Là ils deviennent méfiants, à l’image de ce que Leipzig peut vivre en Allemagne, ou Chelsea à ses débuts en Angleterre. Il faut savoir se faire respecter, c’est tout. »

Une performance contre le PSG sur la scène aux étoiles pourrait être un bon début. « Paris fait peur mais en ayant peur on ne gagnera jamais, prévient Buruk. On doit jouer notre jeu et tenter notre chance à fond. » Ba valide: « On va jouer pour gagner, parce que c’est le football, il y a tout le temps des possibilités, observe le buteur. Mais on est quand même réaliste, on sait contre qui on joue, et il faudra aussi profiter. La force de frappe du PSG n’est pas la notre, faire un résultat contre eux serait quelque chose de bien. »

https://rmcsport.bfmtv.com/football/basaksehir-psg-paris-face-a-l-erdogan-fc-1996928.html

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.