Depuis la rentrée, la FIFA a lancé une importante campagne médiatique pour convaincre les acteurs du football et les supporters de la nécessité d’organiser une Coupe du monde tous les deux ans, en alternance avec les compétitions continentales (Euro, Copa America, Coupe d’Afrique des nations). Mais l’instance mondiale, qui se heurte à une levée de boucliers en Europe et en Amérique du Sud, a dû temporiser pour son vote.
Dans les coulisses du football, les luttes d’influence font rage autour de la Coupe du monde tous les deux ans. Le projet, que la FIFA défend ouvertement depuis plusieurs semaines, va être débattu lors d’un sommet fixé en décembre. Mais l’instance mondiale dirigée par Gianni Infantino, qui espérait sans doute entériner cette affaire avant 2022, a finalement choisi de ne pas organiser de vote. Ce qui ressemble à un premier coup d’arrêt pour cette réforme très controversée.
· Comment le projet s’est retrouvé sur la table
Ce projet était pendant longtemps un serpent de mer. Mais tout s’est accéléré en mai, lors du 71e Congrès de la FIFA. Sur proposition officielle de la fédération d’Arabie Saoudite, 166 votants sur 188 avaient donné leur accord pour qu’une étude de faisabilité soit menée.
Nommé directeur du Développement mondial du football au sein de la FIFA, Arsène Wenger s’avère être la figure médiatico-footballistique du projet. Le légendaire entraîneur français d’Arsenal avait commencé à tâter le terrain au mois de mars, avec une interview au Parisien dans laquelle plusieurs sujets étaient abordés. La véritable offensive se produit cependant à la rentrée, lorsqu’il fait la une de L’Équipe le 3 septembre pour présenter son plan. La campagne médiatique est lancée, lui et la FIFA multiplient alors les interventions pour convaincre.
· Ce que veut faire concrètement la FIFA
La FIFA souhaite bouleverser le calendrier global à partir de 2025. Elle veut passer de cinq trêves internationales sur l’ensemble d’une saison à une seule fenêtre pour les matchs qualificatifs des sélections (tout le mois d’octobre) ou deux (octobre et mars). Dans la première option, les clubs et les championnats seraient donc à l’arrêt forcé pendant plusieurs semaines. Mais elles n’auraient plus aucune interruption jusqu’à fin mai.
L’instance souhaite ensuite réserver le mois de juin de chaque année à une grande compétition. Ce qui explique que la Coupe du monde serait organisée tous les deux ans au lieu de quatre, pour être en alternance avec les compétitions continentales. L’Euro passerait donc aussi à une fréquence biennale. Le mois de juillet serait sanctuarisé, pour garantir du repos aux joueurs internationaux. Le football féminin serait aussi concerné, avec là aussi un passage à un Mondial tous les deux ans.
· La FIFA profite des critiques actuelles
Pour ses détracteurs, le projet apparaît comme le cheval de Troie d’une volonté légitime de refonte du calendrier. Au cours des dernières années, joueurs et entraîneurs n’ont cessé de se plaindre de l’augmentation du nombre de matchs (notamment ceux des équipes nationales européennes, à cause de la Ligue des nations de l’UEFA), du resserrement des calendriers et de l’impact négatif sur les organismes. Arsène Wenger s’est donc engouffré dans la brèche. « J’ai été guidé par la simplicité et n’organiser que des compétitions que les gens comprennent (…) et par le fait d’avoir moins de voyages pour les joueurs, avec moins de matchs de qualification », a-t-il dit début octobre sur RMC.
Afin de renforcer la crédibilité sportive du projet, la FIFA a aussi sorti du chapeau plusieurs anciens grands joueurs: David Trezeguet, Ronaldo, Roberto Carlos, Tim Cahill, Peter Schmeichel, Nuno Gomes. Ce qui lui permet de marteler: « Il n’y a aucune intention financière derrière ». Le lobbying n’est toutefois pas très efficace auprès des acteurs européens actuels. « Il n’y a que l’argent qui compte », a fustigé Jürgen Klopp, l’entraîneur allemand de Liverpool. « Une Coupe du monde doit garder cette rareté », a jugé le champion du monde français Hugo Lloris. Même son de cloche chez Didier Deschamps: « Ça me donne le sentiment de la banaliser. »
Qu’importe, la FIFA assure avoir le soutien du public. Elle a ainsi présenté un sondage, montrant que « la majorité des supporters est favorable à une Coupe du monde plus fréquente ». Il s’avère cependant qu’une question était biaisée et que les résultats pouvaient être interprétés d’une différente manière.
· Rivalité avec l’UEFA
Le Mondial tous les deux ans, c’est aussi l’histoire d’une rivalité grandissante entre l’UEFA et la FIFA. Car le grand perdant d’une telle réforme s’avère être l’instance européenne. D’abord parce que le nouveau calendrier provoquerait la fin de sa Ligue des nations, qui occupe bon nombre de trêves internationales. Mais aussi parce que sa Ligue des champions et les championnats européens subieraient un manque à gagner à cause de la grande pause d’octobre du nouveau calendrier envisagé. Selon un rapport, les fédérations européennes pourraient perdre 2,5 à 3 milliards d’euros (billetterie, droits TV, sponsoring).
Le contexte de la crise sanitaire fait que ce n’est certainement pas le moment pour l’UEFA d’affronter une baisse de revenus. D’autant que son influence a été mise à mal récemment par les grands clubs frondeurs qui ont voulu se défaire de la Ligue des champions et lancer une lucrative Super League européenne, ce projet controversé qui, selon les échos, était vu d’un bon oeil en coulisses par la FIFA.
Fort logiquement, l’UEFA, par la voix de son président slovène Aleksander Ceferin, a donc d’ores et déjà dit non au grand projet d’Arsène Wenger: « Le joyau qu’est la Coupe du monde tient précisément sa valeur de sa rareté. L’organiser tous les deux ans (…) diminuera sa légitimité et va hélas diluer la Coupe du monde elle-même. » Les associations de clubs et des ligues ont aussi fait part de leur opposition. Une grande majorité des fédérations nationales également, à l’exception notable de la Fédération française de football, dont le président Noël Le Graët s’est dit ouvert à toute discussion.
· La FIFA mise sur les petits pays
Pour ses grandes réformes, la FIFA, qui compte 211 associations membres, peut éventuellement se passer du « oui » des 55 nations européennes. Ici, son idée est surtout séduisante pour les sélections du reste du monde, qui auraient mécaniquement bien plus de possibilités d’avoir la chance de participer au rendez-vous le plus prestigieux du football. De quoi séduire a priori les pays d’Afrique, d’Asie ou encore d’Amérique centrale. D’autant que, réforme ou pas, le Mondial va passer de 32 équipes qualifiées à 48 en 2026. « Mon programme au départ, c’est de donner une chance à tout le monde. Au monde entier. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Si vous êtes né en Afrique, en Europe ou en Asie, vous n’avez pas la même chance de devenir un grand joueur de football », a ainsi plaidé Arsène Wenger dans Rothen s’enflamme.
L’Amérique du Sud aurait aussi des raisons de soutenir le projet. « En Europe on est gâté. Tous les meilleurs joueurs jouent en Europe. Mais les Sud-Américains, à chaque trêve internationale, ils doivent prendre l’avion », a pointé Arsène Wenger sur RMC. Sauf que la Confédération sud-américaine de football (Conmebol) s’oppose comme l’UEFA: « Il n’y a aucune justification sportive pour raccourcir la période entre les Coupes du monde ». Ce qui prive donc la FIFA de 10 voix.
Sans soutien populaire clairement marqué dans les pays riches, sans ralliement des joueurs et entraîneurs, et sans feu vert des dirigeants des grandes nations européennes et sud-américaines, la FIFA a donc un problème de légitimité pour sa réforme. Ce qui explique qu’elle ait temporisé pour le vote, alors qu’elle semble tout de même en mesure de dégager une majorité favorable parmi ses membres. Mais d’ici la saison 2025-2026, il reste encore un peu de temps pour avancer la partie d’échecs.
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