A 21 ans, Aurélien Tchouaméni s’est imposé comme l’un des leaders de l’AS Monaco cette saison en Ligue 1. Récompensé de ses performances avec le club de la Principauté par une première sélection en Bleu le 1er septembre dernier face à la Bosnie-Herzégovine, il pourrait rapidement devenir une valeur sûre en équipe de France.
Jeudi soir, entré à un quart d’heure de la fin d’une rencontre excitante face à la Belgique (3-2) et une nouvelle fois à l’aise au milieu de terrain, Aurélien Tchouaméni s’est certainement vu, un temps, ouvrir son compteur en Bleu d’une frappe du pied droit à l’extérieur de la surface de réparation, avant de voir Thibaut Courtois lui barrer la route. L’histoire aurait été belle, dès sa quatrième sélection sous le maillot de l’équipe de France. Qu’importe, ce n’est que partie remise car à force de franchir les paliers à vitesse grand V, le natif de Rouen ne devrait pas tarder à connaître ses premiers moments décisifs en sélection.
Une adaptation rapide chez les Bleus
Le 26 août dernier, Didier Deschamps annonce sa liste pour les matchs face à la Bosnie, l’Ukraine et la Finlande comptant pour les qualifications de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Quatre nouvelles têtes sont appelées: Théo Hernandez, Jordan Veretout, Moussa Diaby et Aurélien Tchouaméni. Le milieu monégasque vient de vivre une grosse déception avec son club. Monaco, éliminé par le Chakhior Donetsk, ne verra pas la Ligue des champions cette saison. Alors quand tombe une première convocation chez les A, c’est l’ascenseur émotionnel.
« J’avoue avoir vécu 24 heures très intenses émotionnellement, a expliqué l’intéressé. Cela fait partie du sport de haut niveau, il y a parfois des hauts et des bas. La soirée s’est mal terminée à Kharkiv, mais le lendemain, j’étais aux anges quand j’ai appris la nouvelle. »
Et de quelle manière! Le joueur est encore dans l’avion, après des problèmes de vol en revenant d’Ukraine. Quand son père Fernand tente de le joindre, il est sur le point d’atterrir à Nice. Le papa décide alors de le rappeler quelques minutes plus tard mais entre-temps, son petit frère, prévenu par le paternel, lui a déjà envoyé un message de félicitations. « C’était assez dingue », sourit Tchouaméni. De son côté, Didier Deschamps s’exprime sur les nouveaux venus en sélection: « Ce n’est pas tout de mettre les pieds dans le groupe, il faut aussi tout faire pour y revenir ».
Le message semble avoir été entendu par Aurélien Tchouaméni qui, face à l’Ukraine, titulaire pour la première fois, se distingue (3 interceptions, 5 ballons récupérés, 96% de passes réussies) au point de récolter les belles paroles de son sélectionneur « Si je l’ai pris, c’est parce que je pense qu’il a tout le potentiel pour être là et à travers ce qu’il a fait sur le premier match et aujourd’hui, cela confirme ce que je pensais, a encore estimé Didier Deschamps à son sujet. C’est encore un jeune joueur mais il a la personnalité, le volume, l’agressivité donc tant mieux ! Il y a pas mal de nouveaux joueurs. À partir du moment où ils sont là, ils ont un rôle à jouer. Qu’ils le fassent tous, comme Aurélien a pu le faire aujourd’hui. »
Le Rocher de Monaco
Sa convocation en Bleu, ce rêve de pouvoir côtoyer N’Golo Kanté et Paul Pogba, des joueurs qui l’inspirent et qu’il a beaucoup suivi, Aurélien Tchouaméni a pu y accéder grâce à de remarquables performances à Monaco. A 21 ans, il est devenu l’un des patrons de cette équipe et ce même si lui préfère ne pas se « prendre la tête avec les statuts ». Pourtant, il n’y a qu’à jeter un œil sur les feuilles de matchs. Depuis l’arrivée de Niko Kovac sur le banc de l’ASM, Aurélien Tchouaméni n’a manqué que deux rencontres toutes compétitions confondues (une pour suspension, l’autre pour une douleur à la cheville la saison dernière en Ligue 1). De la confession de son entraîneur, il est certainement le joueur ayant le plus progressé en un an et s’il formait une paire de récupérateurs solide avec Youssouf Fofana, lui est resté régulier quand l’autre l’est moins en ce début de saison.
« Physiquement, il est en grande forme, il prend ses responsabilités, souligne Niko Kovac. A son poste, vous devez être discipliné, capable d’organiser le jeu. Il grandit jour après jour et c’est un tout autre joueur qu’il y a un an. Je lui fais énormément confiance. Depuis qu’il est international, il est plus regardé. »
Mais les regards des autres semblent glisser sur le milieu de terrain. Le technicien croate, bluffé, poursuit: « On voit pourquoi il a été appelé en équipe nationale. C’est un joueur très important pour nous, on se rend de plus en plus compte de ses qualités. Il devient un vrai leader. Je vais continuer à l’aider mais je souhaite vraiment le féliciter pour sa prestation et pour sa progression. »
Ces paroles élogieuses interviennent après un énième match rempli de Tchouaméni, la semaine dernière, face à son club formateur de Bordeaux (3-0). Ce soir-là, le fan des Lakers aligne une belle ligne de stat. Il est le joueur ayant le plus tiré au but (6 tirs) celui qui a le plus récupéré de ballons à Monaco (7) qui en a touché le plus (83), qui a disputé le plus de duels (18 pour 72% de remportés) tout en se projetant (36 passes dans le camp adverse, total le plus élevé avec 84% réussies).
« Fuoriclasse » dirait-on en Italie, « World Class » en Angleterre, où Chelsea lui fait les yeux doux mais devra sortir le chéquier s’il veut s’attacher ses services. Estimé à 30 millions d’euros par le site Transfermarkt, le milieu de terrain sous contrat jusqu’en 2024 sera certainement difficile à bouger en-dessous de 50 millions d’euros, surtout que son entourage souhaite le voir poursuivre son évolution sur le Rocher. Au sein du vestiaire, Niko Kovac n’est pas le seul séduit, les hommes d’expérience aussi.
« C’est un jeune prometteur qui monte en puissance, avoue son capitaine Wissam Ben Yedder. Nous, les cadres, essayons de l’aider, de le pousser vers l’avant. Il est une pièce importante pour l’équipe dans l’entrejeu, il récupère beaucoup de ballons, nous offre beaucoup de solutions. C’est toujours important d’avoir des jeunes qui puissent nous aider, c’est ça qui fait un groupe. » Proche du jeune joueur, auquel il délivre de précieux conseils, le champion du monde espagnol, Cesc Fabregas, y va également de son compliment: « Je le trouvais déjà très bon quand je regardais Bordeaux. Il s’améliore toujours. Il n’a que 21 ans, c’est seulement le début. J’aime surtout son attitude. Je suis très content pour lui, c’est un gars très intelligent ».
D’Artigues aux Girondins
C’est en effet en Gironde qu’Aurélien Tchouaméni, passé par le poste d’attaquant dans ses jeunes années, s’est fait remarquer. Il rejoint Bordeaux à 11 ans après avoir effectué ses premiers pas de footballeur à Artigues-près-Bordeaux, à quelques kilomètres de la cité girondine. Claude Dauvilliers, président de la SJ d’Artigues depuis 35 ans se souvient. « Aurélien était un enfant qui voulait jouer et qui, à 6 ans, avait déjà la vision du jeu. Il a rapidement été surclassé à partir de ses 8 ans, explique ce dirigeant de club amateur. Au niveau des explications on lui disait une fois et il comprenait. C’était un élève, à l’école de foot, qui a marqué son temps. »
L’homme qui échange toujours avec son ancien protégé avait décelé le potentiel de ce dernier. « Après deux ans de football il anticipait, voyait où se placer, était collectif. Il était le maître du jeu. » Alors en 2010, quand Artigues commence à se déplacer avec son équipe jeune, le garçon est remarqué. Le club dispute la Panini Cup à Paris et rencontre « de grosses pointures » comme Lille, Lyon et Marseille. C’est face aux jeunes phocéens que les Artiguais s’inclinent après avoir sorti Bordeaux sur un but du gamin Tchouaméni. « On ne pouvait pas voir autrement qu’un départ aux Girondins », philosophe avec du recul Claude Dauvilliers.
A Bordeaux, Aurélien Tchouaméni gravit les échelons, est installé au milieu de terrain. En U14, il est impressionné par un de ses coéquipiers, Jean-Marc Tiboué. Aujourd’hui en deuxième division grecque (à Larisa), après être passé par les réserves d’Amiens et de Valenciennes, le natif d’Abidjan a gardé une relation amicale avec l’international français. La fascination de l’époque était réciproque: « Quand on jouait en U14 il était déjà au-dessus, il faisait partie des top joueurs de sa génération, il était impressionnant ».
Et le milieu a continué d’impressionner des U19 à la réserve, de la réserve à l’équipe A entouré par ses amis Jules Koundé ou Zaydou Youssouf. Il est lancé en professionnel en juillet 2018 par Gustavo Poyet, lors d’un match en Lettonie à Ventspils (0-1) en tour de qualification pour la Ligue Europa. « La Coupe d’Europe, ce n’est pas mal pour une première. Il y a pire. Je pensais que ça allait être la Ligue 1 mais ça ne m’a pas dérangé », s’était-il alors exprimé lors d’une interview pour Onze mondial quelques mois plus tard avant d’être arraché par Monaco pour 18 millions d’euros à l’été 2020 à la suite d’une saison quasi-pleine avec les Girondins, dont l’ex-entraîneur Gustavo Poyet avait lancé: « Je le dis à tout le monde, Aurélien Tchouaméni à un futur extraordinaire ».
Si Aurélien Tchouaméni pourrait connaître sa cinquième sélection sous le maillot à deux étoiles en finale de Ligue des nations ce dimanche, son ascension est loin d’être terminée selon Claude Dauvilliers. « Je savais déjà tout petit qu’il allait percer, je ne suis pas étonné de le voir à ce niveau et ce n’est pas fini, je vous l’assure », s’enthousiasme son premier président avec fierté. « Je ne suis pas impressionné par la dimension qu’il est en train de prendre, enchaîne Jean-Marc Tiboué, son ex-coéquipier au centre de formation de Bordeaux. C’est juste normal. Il avait et il a encore cette faculté de passer chaque phase sa vie avec beaucoup d’excellence, de rapidité et d’aisance. C’est une suite logique. Il ne va pas s’arrêter là car il est très stable, très bien entouré, il a encore beaucoup de choses à prouver au grand jour. La scène européenne va commencer à le connaître davantage. Ce n’est pas parce que c’est mon ami mais dans les années à venir il fera partie des meilleurs milieux de terrain d’Europe si ce n’est du monde. »
« L’enfant rêvé » et le chambreur
S’il se fait remarquer sur le terrain, Aurélien Tchouaméni laisse également une trace chez ceux qui l’ont croisé, de par son comportement, irréprochable. « Ses parents étaient autour de lui quand il a commencé, rapporte Claude Dauvilliers. Lui était toujours serein, à l’écoute, n’en faisait pas plus qu’il n’en fallait, c’était son bonheur d’être sur le terrain. A côté de ça, il était bien au niveau des études, l’enfant rêvé quoi. » Jean-Claude Tiboué surenchérit: « C’est quelqu’un de très équilibré qui a une bonne éducation faisant de lui un homme intelligent, un homme sage. Il véhicule une image qui force l’admiration ».
Son éducation, Aurélien la tient de sa maman, conseillère principale d’éducation en lycée, et de son papa, pharmacien et responsable d’une entreprise de production pharmaceutique. « Ma femme et moi avons essayé de donner une belle éducation à nos enfants, affirme Fernand Tchouaméni, à l’écoute de RMC dès 6h du matin avant de travailler, puis fidèle à l’After Foot avant de s’endormir. On a beaucoup bougé de Rouen à Lyon en passant par Dijon et Bordeaux. Aurélien a un frère et deux sœurs, on leur a toujours donné une éducation pour qu’ils s’adaptent partout où ils se trouvent ce qui peut expliquer l’aisance qu’a aujourd’hui Aurélien. Il ne se fait pas bouffer par les évènements ni par l’émotion car la vie n’est qu’un jeu finalement. Il faut être à l’aise, toujours relativiser peu importent les circonstances. »
A chaque prise de parole concernant son milieu de terrain, Niko Kovac évoque une personne « à l’écoute, qui a envie d’apprendre ». En conférence de presse, les réponses du joueur sont fluides. A l’entrainement, il n’est pas le dernier à saluer à distance les médias présents en bord de pelouse pour les premières minutes. « Il est d’une simplicité hors normes. Le petit Aurélien de 6 ans est le même que celui d’aujourd’hui, il n’a pas changé, avance Claude Dauvilliers qui l’invite régulièrement à Artigues, le club de ses débuts. Je l’ai de temps en temps au téléphone et quand je le sollicite il vient voir les jeunes ici, il a foulé la pelouse pour s’entrainer, il nous amène des maillots, il remet des Coupes au tournoi de Noël. Je sais qu’on peut compter sur lui. »
Régulièrement charrié (surtout après sa première convocation en Bleu), parfois pointé comme le gendre idéal, « le petit Pogba » comme on l’appelait lors de sa préformation est, à l’image du milieu de Manchester United, club dont rêvait Aurélien étant petit, un chambreur. A Monaco, il s’est trouvé avec Sofiane Diop, Benoit Badiashile, Youssouf Fofana voire Axel Disasi une jolie bande d’ambianceurs. « Il aimait déjà charrier à Bordeaux », se souvient Tiboué. « Il nous fait aussi ses blagues à deux sous comme quand il m’annonce des choses alors que c’est tout le contraire, il est taquin », se marre Fernand, son père. Ce qui pourrait ne pas être une plaisanterie, en revanche, serait de le voir disputer le prochain Mondial au Qatar sous le maillot de l’équipe de France.
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