Sébastien Louis, historien et professeur de Sociologue au Luxembourg et auteur du livre « Ultras, les autres protagonistes du football », revient, auprès de RMC Sport, sur les incidents qui se sont déroulés sur les pelouse de Ligue 1 ces derniers jours.
Comment peut-on expliquer les débordements des supporters en Ligue 1, comme mercredi à Angers?
On peut expliquer cela par une mauvaise organisation déjà. J’ai parlé avec des personnes dans le parcage marseillais. Elles m’ont dit que le parking était à 900 mètres, que les supporters des deux camps étaient mélangés. La bonne chose c’est que jusque-là, il n’y avait pas de problèmes entre supporters de l’OM et du SCO, il n’y avait pas ce rivalité entre les deux groupes. Et ce jet de pétard coté angevin qui a fini dans le parcage a entrainé l’envahissement de terrain, les échanges de coups.
C’est problématique évidemment, et on ne peut que condamner. Mais on peut dire que dans les différents match qui ont posé problème, on a à chaque fois des petits soucis d’organisation. Attention, c’est très difficile d’organiser un match de foot, surtout après un an et demi où on n’était plus habitué à gérer du public. Il y a aussi un effet Covid qui joue. Et on remarque que c’est un phénomène qui n’englobe pas que les ultras, mais bien les foules sportives en général, comme à Metz-PSG où j’ai vu des gens descendre de tribunes latérales sur le terrain pur demander des maillots.
A quoi correspond cet « effet Covid »?
Il y a un retour dans les stades assez important, que ce soit les groupes de supporters organisés, avec de grandes ambiances. Des gens d’habitude plus mesurés qui sont plus passionnés. Et la deuxième chose est que le stade est un lieu très particulier dans l’histoire et il y a toujours eu de la violence dans le foot. On ne peut pas tout mélanger : une invasion de terrain comme Nice-Marseille qui est liée à un fait de jeu, Lens-Lille où les supporters lillois profitent d’une faille dans le dispositif de sécurité pour approcher les Lensois, et un effet Covid qui fait que les gens, on le sait, ont des séquelles psychologiques. Les gens veulent sortir, le stade fait partie de la vie d’avant. Ce retour à la vie d’avant combiné à l’effet de groupe peut occasionner des troubles.
La sécurité est pourtant la même qu’avant la pandémie…
La chose qu’il faut comprendre, c’est qu’après un an et demi sans match, ce n’est pas facile de revenir aux fondamentaux. Et ce sont de petites failles. Par exemple Nice-OM, les barrière sont ridicules… On a des débordements pas évidents à gérer, et de l’autre côté une sorte de surenchère, avec aussi l’effet médiatique, le fait ne parler que de ca depuis plusieurs jours donne un coté surenchère qu’il faut maîtriser. Il faut de nouveau parler, se mettre autour de la table. Les lois françaises sont suffisantes. Il faut continuer le dialogue comme l’a justement dit la ministre déléguée au Sport Roxana Maracineanu. Il faut des sanctions ciblées.
Les interdictions de déplacement sont-elles la solution?
C’est une solution à court terme. Mais il faut avoir des groupes de supporters qui se déplacent. Au contraire, ne pas en avoir, c’est habitué les forces de police à gérer d’autres situations de tensions… Que ce soit en Belgique, Suisse, Suède, Allemagne, il y a des débordements dans toute l’Europe, ça a toujours existé. Ce qu’il faut, c’est réduire au minimum la possibilité de ces incidents et sanctionner les individus et non pas l’ensemble du stade.
Y a-t-il un risque de détérioration des relations entre les instances et les supporters?
Depuis 2016 et la Loi Larrivé, on a changé les paradigmes en France. Avant c’était du tout répressif, avec la multiplication des interdictions de déplacement. Depuis, la loi a aussi obligé un dialogue avec les supporters et on a observé une véritable amélioration. Evidemment tout n’est pas parfait et ces incidents le montrent, il ne faut pas donner tout crédit aux supporters. Ces supporters sont prêts à dialoguer, on l’a vu à l’ANS (Association Nationale des Supporters), avec le ministère, la ligue, les autorités, l’Instance Nationale du Supportérisme… Il faut continuer sur cette voie-la. La ministre l’a bien souligné, il faut aussi que les supporters acceptent les contraintes. On est dans une phase intermédiaire. Le modèle de gestion du supportérisme à la française se construit en ce moment, avec évidemment des reculades, mais il faut prendre en compte ces tensions pour mieux avancer.
La LFP est-elle assez présente? Doit-elle durcir le ton?
Je ne suis pas d’accord, le huis clos est déjà une sacrée punition… Au contraire, ce serait une institution qui s’oppose directement, et ce serait contre productif selon moi. Il faut continuer le dialogue, les responsabiliser et je pense qu’il va falloir faire une table ronde rapidement avec tous les acteurs sur ce sujet. Il vaut mieux un dialogue et des interlocuteurs reconnus, plutôt qu’il n’y ait pas de groupes de supporters… Le plus difficile c’est de ne plus avoir de groupes avec qui dialoguer.
Paye-t-on cet ancien fonctionnement du tout-répressif aujourd’hui?
Ce serait trop facile, ce serait donner trop de crédit, car on est passé ici dans un autre paradigme. Certains ne veulent pas dialoguer, mais l’ANS fait un travail formidable avec cette voie du dialogue qui n’est pas toujours facile. Car dans cette sous culture ultra, il y a certaines contraintes qu’on a du mal à accepter. Mais là justement, en 2021, on sait qu’il y a des choses qu’on ne peut plus faire. Il est temps de se dire ‘on a une vraie opportunité en face de nous et il serait dommage de la gâcher’
Ces tensions reflètent-elles la société actuelle?
Le stade est un miroir de notre société. C’est quelque chose qui m’a permis de comprendre énormément de faits : en Italie, la montée de l’extrême droite à la fin des années 80 se traduit d’abord dans les stades. Le stade est un miroir grossissant et déformant de nos réalités. La société française, est sous tension, fracturée, il est normal qu’au stade on puisse apercevoir la même chose. Il serait utopique de voir le stade comme coupé des réalités de ce monde. Le stade est un des rares lieu de mixité sociale, ou les différentes classes sociales, les différentes couches de la population française se mélangent, donc certaines tensions de la société française se lisent dans nos tribunes.
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