Le choc de Premier League entre Manchester United et Liverpool, prévu ce dimanche, a dû être reporté en raison de manifestations de supporters mancuniens, qui sont allés jusqu’à envahir la pelouse d’Old Trafford. Les raisons de la colère des fans des Red Devils.
C’est l’image forte de ce dimanche en Angleterre: des dizaines de supporters de Manchester United qui envahissent la pelouse de leur propre club, à Old Trafford, à quelques heures du choc de Premier League contre Liverpool. Le coup d’envoi du match a d’abord été retardé, avant l’annonce du report du match. Mais la colère ne retombe pas: les fans des Red Devils veulent voir leurs dirigeants partir et ne comptent pas céder. Certaines raisons sont très récentes mais d’autres se sont installées ces dernières saisons.
La goutte d’eau de la Super League
Revenons sur le plus évident: cette éphémère Super League. Manchester United faisait partie des 12 signataires de départ pour cette ligue semi-fermée lancée par Florentino Perez. Et ça, en Angleterre, ça ne passe pas. Comme à Chelsea, Liverpool ou Manchester City, la colère des supporters, la fronde des autres clubs de Premier League et du gouvernement britannique ont fini par faire céder la direction mancunienne.
Manchester United s’est donc, comme les cinq autres clubs anglais engagés initialement, retiré du projet. Mais le mal était fait. L’idole Alex Ferguson avait dit sa déception: « Parler d’une Super League, c’est s’éloigner de 70 ans du football européen », regrettait le légendaire entraîneur. Son poulain Eric Cantona avait appelé au respect des supporters. Même les joueurs, Bruno Fernandes en tête, avaient clamé leur désaccord. Ed Woodward, cible initiale de la colère des fans, a déjà annoncé son départ. Place au cran supérieur.
La famille Glazer, la cible
Voilà le plus frais. Mais la colère des supporters de Manchester United est plus profonde. Leur cible? Les « Glazers », comme l’indiquent les nombreux panneaux « Glazers out » brandis ces dernières semaines aux alentours d’Old Trafford.
La famille Glazer a repris le club mancunien en 2005, alors que l’équipe sortait d’une saison blanche et peinait à retrouver un second souffle. Une arrivée pour la beauté du sport? Pas vraiment. Les richissimes hommes d’affaires américains ont toujours assumé de vouloir faire du profit. Dans le football. Au pays du football et de ses traditions.
Dur à avaler pour les fans des Red Devils, qui tiennent aussi à l’historique de leur club qui, comme plusieurs mastodontes de Premier League, est avant tout un vestige du monde ouvrier, fondé en 1878 par des membres d’une compagnie ferroviaire. On était loin d’une avalanche de billets.
Exit le magnat des médias Rupert Murdoch, place à une famille Glazer de businessmen américains, déjà propriétaires des Tampa Bay Buccaneers. Et la méthode est, déjà à l’époque, peu glorieuse: en clair, il s’est chargé de creuser la dette du club pour le racheter à moindre coût. La classe. Et aucun risque en plus: Manchester United est trop rentable, vend trop de maillots et de billets… Le bénéfice remboursera tout de suite la dette. Et cela fonctionne. Cela refroidit aussi les fans historiques.
Quand les affaires empiètent sur le football
Mais le foot business des Glazers passait encore tant qu’il n’interférait pas avec le sportif. Après tout, faire du bénéfice sur les ventes de produits dérivés ne dérange pas grand monde. C’est bien plus gênant quand on essaie de se mêler du terrain sans en avoir la compétence ou la légitimité.
C’est bien là le point de bascule: les transferts de joueurs n’ont pas vraiment payé ces dernières années sur le plan sportif: Manchester United a dégringolé au classement de la Premier League et dans les rangs européens – se contentant de la Ligue Europa plutôt que de la Ligue des champions – pour en plus se faire dépasser… par le rival City. Des Skyblues qui ont tout pour eux depuis l’arrivée de Pep Guardiola: l’entraîneur le plus reconnu au monde, un jeu salué par tous et les trophées, avec un troisième titre de champion d’Angleterre en quatre ans presque acquis. Trop c’est trop.
La colère des anciens
Il suffit, pour comprendre la bascule, d’écouter les anciens. « Les fans de United sont vraiment mécontents, disait encore ce dimanche Peter Schmeichel sur RMC Sport. La reprise du club en 2004-2005, alors qu’on allait en Ligue des champions tous les ans, qu’on remportait la Premier League une année sur deux, qu’on avait le meilleur stade et le meilleur centre d’entraînement… Aujourd’hui, on n’est plus en Ligue des champions, on n’est plus à la lutte pour le titre en Premier League, le stade a vieilli… Les fans voient qu’ils ne peuvent pas aller chercher Manchester City. La Super League, c’était trop. […] Les propriétaires sont déconnectés de la réalité, ils sont avares, veulent toujours plus d’argent. Et les seuls qui paient, ce sont les fans. »
« Joel Glazer a dit qu’il voulait retrouver la confiance des supporters (après l’épisode Super League ndlr). Mais il ne l’a jamais eue », tacle Gary Neville sur Sky Sports. L’ancien Mancunien s’était d’ailleurs dit « dégoûté » par la direction de son club et par celle de Liverpool, deux clubs historiquement populaires et ouvriers, dans cette éphémère période de Super League.
« Je pense qu’il n’y aura jamais de lien entre les supporters et ces propriétaires, constatait Paul Scholes sur BT Sport fin avril. Je pense que c’est le cas avec tous les clubs qui ont commencé à amener des milliardaires pour qu’ils aient un jouet avec lequel faire de l’argent. La chose la plus importante pour un fan, c’est ce qui se passe sur le terrain. Et les quatre ou cinq dernières années à Manchester United, avec les ressources, l’argent que le club a eu, l’équipe n’a pas gagné un trophée, c’est ridicule. »
N’enlever jamais le football à un Anglais, il ne vous pardonnera pas. Le petit peuple – au sens noble du terme – n’a plus accès à son stade, à ses joueurs, à son maillot, à ses rêves. A Liverpool, à United, au Royaume-Uni, ça ne passe pas. On n’achète pas encore tout avec de l’argent.
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