Que le projet de Super League finisse ou non par aboutir à court terme, l’UEFA ne bénéficiera pas toujours de circonstances qui lui seront favorables pour résister aux sécessionnistes. Explications avec une avocate spécialisée en droit du sport.
Le couperet est passé tout près. Aleksander Ceferin a senti le vent tourner. Le Slovène aurait pu passer pour le fossoyeur du football européen, à force de ne pas voir ce qui se tramait dans son dos, avec la création d’une compétition privée, quasi-fermée, conçue par douze poids lourds du football européen pour supplanter la Ligue des champions. Le tollé suscité et l’indignation soulevée par ce couteau planté dans le dos de l’UEFA a fini par annihiler toute velléité sécessionniste. Mais pour combien de temps encore la confédération européenne sera-t-elle capable de se prémunir de ces mutineries ?
L’Union européenne de football (UEFA) a examiné vendredi en comité exécutif ses « options » pour solder le dossier de l’éphémère Super League, sans annoncer pour l’heure de sanction contre les douze clubs dissidents ayant imaginé cette compétition privée. Reste à savoir à quoi ressembleront les « conséquences » promises mercredi par Ceferin aux clubs dissidents et à leurs dirigeants, le patron de l’UEFA n’ayant pas précisé si elles seraient judiciaires, disciplinaires ou sportives. Mais les sanctions devraient tomber, d’une façon ou d’une autre, car Ceferin y tient personnellement.
« L’UEFA ne peut s’affranchir des règles du droit commun »
« La mise en garde de l’UEFA est très sérieuse: en tant qu’instance faitière du football européen et organisatrice de ses compétitions, l’UEFA dispose d’un pouvoir clé: le pouvoir réglementaire, explique Me Tatiana Vassine, avocate spécialisée en droit du sport. Ce pouvoir lui permet de fixer les règles applicables à l’ensemble des personnes (clubs, joueurs) souhaitant prendre part à ses activités. Avec pour corollaire le pouvoir disciplinaire qui lui permet de les sanctionner si elles les enfreignent. A cet égard, la menace brandie par l’UEFA est réelle et immédiate. »
En revanche, cela ne signifie pas que les sanctions prises en vertu de ces règles, comme l’exclusion des coupes d’Europe, seraient légales. « En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’UEFA peut fixer ses propres règles qu’elle peut s’affranchir des règles du droit commun, et notamment du droit européen, au risque de voir leur réglementation remise en cause par les tribunaux, précise Me Tatiana Vassine. Les mesures qui viseraient à exclure les clubs, voire même les joueurs, des compétitions européennes ou encore celles qui viseraient à interdire les transferts se heurteraient à des principes fondateurs du droit européen comme la libre concurrence ou encore la liberté de circulation des travailleurs. »
Quelle légitimité pour les sportifs à prendre en main leur destin ?
Le lancement raté de la Super League a illustré au grand jour les lignes de fractures d’un football européen épuisé économiquement par la pandémie, et la bataille qui se joue pour l’avenir de ce sport, entre deux modèles de nature très différentes. « Les fédérations sportives sont propriétaires du spectacle sportif qu’elles organisent mais n’ont pas pour autant le monopole du spectacle sportif dans leur sport, indique Me Tatiana Vassine. Ce qui signifie qu’elles doivent s’attendre à ce que des acteurs participant ou ayant participé à leurs spectacles sportifs soient attirés ou courtisés par d’autres événements. »
Si, pour juguler le développement de ce phénomène des ligues dissidentes, qui traduit chez certains une volonté d’émancipation, un éventail de sanctions déjà connues pourrait s’avérer dissuasif. Une interdiction absolue qui viserait à éliminer toute forme de concurrence apparaît « juridiquement hautement contestable », selon notre avocate: « Les moyens d’endiguer les spectacles sportifs alternatifs sont à cet égard limités, et ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres organisateurs ne se manifestent. »
« Une réglementation très stricte ne sera pas toujours suffisante »
Selon le New York Times, la Premier League envisage, elle aussi, de prendre des sanctions à l’encontre des clubs anglais (Arsenal, Manchester United, Liverpool, Chelsea, Manchester City, Tottenham) qui étaient à la manœuvre dans ce projet, avant de s’en retirer face à la pression qui s’intensifiait. Pour ce faire, la Premier League réfléchirait à la possibilité de modifier ses statuts afin d’empêcher la récidive de ces clubs, notamment en instaurant des règles garantissant l’impossibilité pour les équipes de quitter le navire en plein milieu d’un contrat commercial, par exemple.
« Si une réglementation très stricte permettra de gagner du temps, et aussi de décourager les volontaires, elle ne sera pas suffisante pour endiguer définitivement ces événements extra-fédéraux, estime Me Tatiana Vassine. Peut être que, dans cette course contre la montre, nous verrons naître des conventions entre les fédérations et des organisateurs extérieurs ou une intégration plus forte des clubs qui semblent être pour la FIFA une menace sérieuse. Car la FIFA aura tout intérêt à sécuriser en premier lieu ceux qui font le succès de ses événements, sans oublier les sportifs qui, peu, voire pas sollicités, sont pourtant tout aussi légitimes à prendre les décisions affectant leur carrière. »
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