Les annonces de Médiapro constituent-elles une surprise?
Cela constitue une surprise surtout dans le timing et la façon dont cela arrive. Cela arrive très tôt. Il y avait évidemment des doutes sur le modèle économique de Mediapro. Le fait que cela arrive aussi vite, je pense que c’est une surprise pour la Ligue. Ce qui est frappant, c’est le timing. Jaume Roures évoque la crise sanitaire mais s’il avait demandé à renégocier les prix avant le début du championnat, puisque la crise était déjà là avant, cela aurait pu se comprendre. Le fait qu’il le fasse après le début de la saison et dès la deuxième échéance, c’est un signe que Médiapro est déçu des premiers chiffres d’abonnement.
Peut-on parler d’excuse avec l’argument de la crise liée au coronavirus?
C’est un peu dur de dire que c’est une excuse parce que la crise sanitaire a vraiment impacté l’écosystème du foot dont Mediapro. Cette entreprise a perdu de l’argent à cause de la crise sanitaire. Mediapro vend les droits de la Liga à l’étranger, fait de la production audiovisuelle, et a perdu de l’argent notamment sur ces postes de revenus. La société avait prévu de faire une introduction en bourse, donc de lever des fonds, et tout cela a été annulé à cause de la crise sanitaire.
La crise liée au coronavirus a impacté son modèle économique comme pour de nombreux diffuseurs dans le monde. Maintenant, le fait que Jaume Roures évoque cela aujourd’hui… Il y a quelques mois, Jaume Roures disait que la crise sanitaire ne changerait rien et que Médiapro allait payer quoi qu’il arrive. Le fait qu’il y ait un volte-face aussi rapide est soit lié à d’énormes problèmes de trésorerie et/ou un stop de l’actionnaire chinois qui a de gros doutes sur la stratégie de Mediapro en France et qui souhaite « limiter la casse » et se prépare à un retrait.
Quelles sont les chances de Médiapro d’obtenir un rabais auprès de la LFP?
Si Mediapro obtient un rabais, la Ligue sera obligée d’en accorder aux autres diffuseurs donc à Canal Plus et Free. Cela peut éventuellement se comprendre dans le contexte de crise sanitaire, le produit étant différent de celui vendu au moment de l’appel d’offres. Ce rabais pourrait éventuellement se justifier sur la première saison ou la période pendant laquelle les matchs seront à huis clos.
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A l’étranger il y a déjà eu des négociations de la part des diffuseurs suite à la crise, les huis clos et le changement de calendrier des rencontres. Cela pourrait se faire mais juridiquement cela pourrait aussi être contesté par les autres candidats qui avaient répondu à l’appel d’offres en 2018. A cause de cette incertitude juridique cela me semble compliqué de voir la LFP accepter une renégociation. Mais c’est peut-être la moins pire des solutions pour la Ligue si l’on met cette incertitude juridique de côté.
Quelle serait la pire des solutions?
La situation la plus chaotique serait de voir Mediapro ne pas payer cette échéance et que les deux camps, la Ligue et le diffuseur campent sur leurs positions. Les clubs ont de vrais soucis de trésorerie en ce moment à cause de la crise sanitaire et qui dit non-paiement de Mediapro, dit rupture du contrat et dit nouvel appel d’offres en urgence de la part de la Ligue. La Ligue devrait alors se retourner contre Mediapro. Quand pourrait-elle récupérer des fonds avec une action en justice? A quelle hauteur? Ce sont des questions qui sont surement étudiées aujourd’hui et dont personne ne connaît vraiment la réponse.
Faut-il alors s’inquiéter pour le football français, les clubs et les joueurs de Ligue 1?
Les conséquences seraient énormes. Avec l’arrivée de Mediapro, les droits télés de la Ligue 1 avaient augmenté de 60%. On est passé de 725 millions à 1,172 milliard d’euros. Les clubs ont contracté un prêt après l’arrêt du championnat la saison dernière et ils avaient l’idée d’obtenir des revenus supplémentaires pour les saisons à venir. Si ces revenus venaient à baisser, ce serait une catastrophe.
Il n’y a plus de revenus liés à la billetterie, le marché des transferts était en baisse de 43% cet été pour les cinq grands championnats. Le modèle économique des clubs français reposait sur les deux piliers que sont les droits télés et les transferts. Avec un mercato en baisse, si les droits de diffusion le sont aussi ainsi que les recettes liées au sponsoring c’est une très mauvaise nouvelle pour les clubs français. Ceux qui ont des actionnaires solides tiendront le choc mais ceux avec des soucis de trésorerie peuvent s’inquiéter.
Peut-on évaluer les pertes éventuelles liées à un défaut de paiement?
Mediapro s’est engagé à payer environ 800 millions d’euros par an pour les droits de la Ligue 1. Un sixième du montant a déjà été réglé lors de la première échéance. Les pertes seraient liées au prix auquel la LFP pourrait revendre les droits. Je ne pense pas que la Ligue pourrait percevoir plus de la moitié de ce que paye Mediapro. Il y a déjà les 330 millions d’euros de Canal Plus et les cinquante millions de Free. Mais sur les 800 millions de Mediapro, avec un nouvel appel d’offres demain, je ne crois pas que la Ligue puisse en toucher plus de la moitié.
Concrètement, que peut fait la Ligue? Négocier avec un autre diffuseur ou passer par un nouvel appel d’offres?
En cas de défaut de paiement de Mediapro, donc une rupture du contrat, la Ligue va récupérer les lots et va devoir lancer un nouvel appel d’offres. Au niveau du timing, cela serait fait dans l’urgence mais je pense que la LFP va essayer de discuter et de trouver une solution avec Mediapro.
Un défaut de paiement serait une issue perdant-perdant pour toutes les parties…
En cas de non-paiement, la Ligue peut oublier le milliard des droits télés. Déjà que Mediapro avait surpayé les droits à l’époque, au moment où l’on se trouvait dans un pic. Aujourd’hui, cela n’a plus la même valeur et encore moins avec la crise sanitaire. Ce serait une solution perdante pour Mediapro car ce serait un préjudice terrible pour eux en termes d’image dans l’industrie et surtout cela aurait des conséquences économiques puisque la Ligue demandera évidemment réparation de son préjudice. Pour la Ligue cela serait une solution perdante car elle serait en difficulté de trésorerie et obligée de lancer un appel d’offres en urgence avec Canal Plus et beIN Sports en position de force. Si Mediapro refuse de payer, c’est double peine pour la Ligue.
Roxana Maracineanu a demandé à Mediapro d’honorer ses engagements, quels pouvoirs possèdent le gouvernement dans ce dossier?
Le gouvernement n’a pas vraiment de pouvoir. C’est une affaire privée entre deux entités. Peut-être que le gouvernement peut avoir rôle de conciliation ou diplomatique. Reste à savoir s’il peut vraiment avoir un impact diplomatique auprès de l’actionnaire chinois et là je ne sais pas. D’un point de vue purement légal, cela reste du droit privé et le gouvernement ne peut rien y faire.
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