Dimitri, quand Marcelo Bielsa arrive à l’OM, vous avez vingt-sept ans. Est-il un entraîneur qui vous a fait franchir un cap?
Oui. C’est un entraîneur qui m’a fait franchir un cap, comme à tous les autres joueurs qui étaient avec moi Quasiment tout le monde est parti après et a réussi là où il est allé car il nous a rendu meilleurs et plus forts.
Il vous a repositionné en numéro 10.
Dès les premiers entraînements, il avait un système qui avait toujours un numéro 10 et c’était moi. Au fil des entraînements et des matches amicaux, je me suis bien senti, j’ai été efficace et c’est parti de là.
Etait-ce un poste auquel vous aspiriez à jouer un jour?
C’est un poste où je joue, même encore maintenant. Sur la feuille de match, je suis à gauche, mais je suis plus souvent dans l’axe qu’à gauche, je suis plutôt à me balader entre les lignes que de rester collé à ma ligne de touche. En fait, c’est un poste auquel je joue depuis très longtemps.
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AFP – Marcelo Bielsa lors d’un match à Rennes avec l’OM en février 2015
Qu’est-ce que Bielsa attendait de vous? Son numéro 10 a énormément de liberté.
De la liberté, oui, mais aussi la responsabilité de faire en sorte que le jeu tourne bien. C’était une grosse responsabilité qu’il m’avait donnée mais que j’ai pris avec énormément de plaisir. Je touchais énormément de ballons, tous les ballons passaient par moi. J’étais au départ des actions et je devais faire en sorte que mes attaquants soient dans les meilleures dispositions pour finir les actions. Moi qui suis un passeur dans l’âme, c’était tout bénéfique pour moi.
Mais qu’attendait-il spécifiquement de vous?
Par rapport au jeu, il n’y avait pas spécialement de consigne. C’était juste par rapport à mes performances. Il voulait que je sois bon tout le temps. Même en menant 3, 4 ou 5-0, il ne voulait pas que je m’arrête ou que je baisse le pied. Il ne voulait jamais que je me repose. C’est la plus grande exigence qu’il avait envers moi.
Qu’a-t-il de différent des autres dans son coaching?
La grande différence qu’il a avec tout le monde, ce sont ses discours. Il peut vous parler pendant des heures et vous ne décrochez pas. Tout ce qu’il vous dit, vous savez que c’est vrai, qu’il a raison, que c’est bon pour vous, qu’il faut faire ce qu’il dit et que si c’est le cas, vous allez être bon. Tout simplement.
AFP – Marcelo Bielsa sur sa glacière lors d’un match amical entre l’OM et la Juventus en août 2015
Florian Thauvin nous a parlé de ses discours poignants, même s’ils étaient en espagnol.
Il avait un traducteur même si je le soupçonne de parler français. Mais c’est sa façon de parler, très calmement. Il crie très rarement. Et quand quelqu’un vous parle calmement et doucement, je pense que vous assimilez plus les choses. Et dans tout ce qu’il a dit, généralement, il ne s’est pas beaucoup trompé.
Vous parlez de sa grosse exigence avec vous. Physiquement, qu’attend-il de ses équipes?
Je pense que c’est le plus dur à gérer avec ce coach. On doit être tout le temps au taquet, au maximum de nos capacités physiques et mentales, et c’est ce qui nous un peu joué des tours sur la seconde partie de saison. A un moment donné, on était un peu dans le dur physiquement donc c’était plus compliqué de gagner nos matches. Mais quand ça va bien physiquement, avec sa façon de jouer, ce n’est que du bonheur.
Florian Thauvin nous a aussi dit que vous aviez essayé de parler avec lui pour lever le pied en seconde partie de saison car vous sentiez que ça allait casser à un moment…
C’est quelqu’un qui a un fort caractère, qui n’aime pas je ne dirais pas être remis en cause mais c’est vrai que je pense qu’en lui disant ça, il a pris ça comme il ne fallait pas le prendre, comme une trahison ou comme le fait qu’on remettait en cause son coaching ou comment il gérait son équipe. Alors que pas du tout. On avait beaucoup de respect et on s’éclatait sur le terrain avec lui. Mais il a un caractère tellement fort et il sait tellement où il veut aller, il est tellement sûr de ça, que ça a été difficile pour lui de gérer ça.
AFP – Marcelo Bielsa lors d’un match à Metz avec l’OM en mai 2015
Comment ça s’est passé concrètement?
Je crois que c’était Steve Mandanda le capitaine à l’époque et c’est lui qui a été lui parler.
Quel était son message?
Juste de dire qu’on commençait être fatigué donc qu’il fallait peut-être baisser le temps d’entraînement ou avoir de la récupération en plus. Mais lui, c’était le travail, le travail, donc c’est quelque chose qu’il n’a pas pu entendre.
C’était quoi une semaine de travail avec lui?
Franchement, je pense que la séance la moins longue pouvait durer une heure trente-une heure quarante-cinq. La moins longue ! Et ça pouvait pousser jusqu’à deux heures voire plus. Tous les jours. C’était deux heures à fond. Il ne pouvait pas dire qu’un exercice ne pouvait pas se faire à fond. C’est bien car on était bien physiquement le week-end. Après, sur une saison complète, on sait que c’est déjà compliqué d’être bien physiquement sur les huit mois de compétition, car il y a toujours un creux, mais là on l’a beaucoup senti car on était vraiment mort.
AFP – Marcelo Bielsa (en bleu) derrière Benjamin Mendy lors d’un match de l’OM contre Metz en décembre 2014
Cette limite se retrouve aussi dans les idéologies footballistiques, avec ce pressing tout terrain permanent qui peut donner des matches dingues comme la défaite 3-5 contre Lorient au Vélodrome cette saison-là…
Je me souviens de ce match. En fait, la façon dont on jouait marchait car au bout de vingt minutes, le match était plié. On marquait un, deux ou trois buts et on arrivait à jouer avec de l’assurance. Mais il y a aussi pas mal d’équipes qui ont réussi à nous poser des problèmes, notamment Lorient. Ils avaient une équipe qui était techniquement de qualité, ils ont réussi à déjouer notre pressing et à partir du moment où on arrivait à passer notre pressing, c’était ouvert derrière et ils ont su en profiter.
Parfois, on voyait des occasions avec Giannelli Imbula seul contre tous en sentinelle.
Sans lui, il n’y aurait pas eu moi. Imbula était mon fournisseur officiel de ballons. Quand Bielsa lui a dit qu’il allait jouer là, tout seul, même nous on s’est regardé… Et lui n’y croyait pas. Mais il a fait une saison extraordinaire. Les défenseurs devaient donner les ballons à Imbula. Ce n’était pas négociable.
Mais sur les phases où il devait défendre, il était très isolé…
Entre les latéraux qui soit étaient à l’intérieur, soit montaient, et nous les quatre devant, c’est sûr que quand l’adversaire arrivait à passer la première ligne de pressing, c’était difficile de défendre pour les centraux et Imbula.
AFP – Marcelo Bielsa salue les supporters marseillais lors d’un match amical face au Benfica en juillet 2014
Comment définiriez-vous la patte Bielsa? On a le sentiment d’un coach spectaculaire mais entêté.
C’est spectaculaire car il veut jouer. Et quand on joue, c’est forcément spectaculaire. Tu en prends ou tu en mets mais il y aura forcément des buts. Cette saison-là, on a gagné des matches 4-0, 5-0, 6-1, mais on en a aussi perdu un 5-3. Sept-huit buts dans un match, ce n’est pas anodin, mais ce n’est pas arrivé qu’une fois. C’est spectaculaire, oui, mais c’est ce qu’il veut. La façon dont il veut qu’on joue ne peut-être que spectaculaire.
Quels souvenirs gardez-vous de l’ambiance au Vélodrome cette saison-là?
Avec ce qu’il s’est passé et la façon dont on jouait, les gens étaient comme nous, ils se régalaient dans les tribunes. En début de saison, on passe leader avec une série de huit victoires d’affilées. Ça commence à prendre. Et à partir du moment où tu es champion d’automne, les supporters commencent à se dire: ‘Bah pourquoi pas’. Et ça a duré jusqu’à la fin de saison. Il y a eu le match à la maison contre Lyon, conclu à 0-0 (29e journée, ndlr), et si on avait gagné on aurait peut-être été encore un peu dans la course mais ça a été compliqué. Ça reste une saison unique.
Avez-vous une anecdote personnelle avec lui à l’entraînement?
Oui. Il y a une histoire lors d’un entraînement où j’en ai fait un peu moins, pour ne pas dire rien. C’est l’un de ses intendants qui met le feu aux poudres car sur la dernière action de l’entraînement, je fais un petit pont et je marque et l’intendant me félicite. C’est là où il pète les plombs: ‘Tu le félicites alors qu’il n’a rien fait de l’entraînement, il n’a fait que ça et tu le félicites!’ Il fait rentrer tout le monde aux vestiaires. On jouait le dimanche, on était le vendredi et il me dit: ‘Tu peux y aller, tu peux partir en vacances, on n’aura pas besoin de toi dimanche’. C’est fou mais c’est lui, et ça m’a fait une petite piqûre de rappel, même si j’étais très bon en match et que je faisais une super saison. Même là, à l’entrainement, je n’avais pas le droit de faire un peu moins. J’ai eu deux jours de vacances de plus. (Sourire.)
AFP – Le passage de Marcelo Bielsa sur le banc olympien a beaucoup marqué les supporters marseillais
Sur sa personnalité, deux anecdotes ressortent: celle de Steve Mandanda qui est dans l’ascenseur avec Bielsa qui ne lui dit rien, alors qu’il est son capitaine, et celle avec Abdelaziz Barrada, qui est une recrue de Bielsa mais à qui il n’adresse pas la parole de la semaine une fois à Marseille.
On a tous été choqué au début, mais on s’y est vite fait. Sur les premiers entraînements, on avait son responsable qui était là, son intendant, ses adjoints commençaient l’entraînement et lui arrivait après. Il nous parlait, parfois pas, puis il nous regardait, et après les exercices, il nous parlait. On a vite compris qu’il y avait une barrière entre lui et les joueurs mais cela ne nous a pas empêché de faire une belle saison. C’est sa façon de fonctionner, c’est comme ça, comme pour chaque coach.
Que retenez-vous de cette saison avec lui?
Il nous a rendu meilleurs, plus forts, et a permis à beaucoup d’entre nous d’exploser ensuite dans d’autres clubs comme Mendy, Imbula, Ayew, Gignac, Lucas Ocampos, Morel en tant que défenseur central, Romao, Mandanda, moi. Il s’est passé quelque chose cette saison-là et tout le monde a grandi d’un seul coup. Ça a permis de partir dans d’autres clubs et de faire de belles carrières.
Bielsa est-il plus un formateur qu’un vrai coach?
Il a envie de gagner, mais en jouant bien au foot. Et je suis d’accord avec ça. Gagner 1-0, c’est bien, mais il faut aussi jouer au ballon. Steve se faisait presque engueuler s’il dégageait. Mais bien sûr qu’il voulait gagner. Il préparait tous les matches pour les gagner. Au Real, s’ils gagnent mais qu’ils ne jouent pas bien, ils virent l’entraîneur. Avec lui aussi, il fallait gagner mais il fallait bien jouer.
AFP – Marcelo Bielsa le jour où il annonce sa démission du poste de coach de l’OM après une défaite face à Caen le 8 août 2015
Racontez-nous le départ de Bielsa de l’OM au début de la saison 2015-2016.
C’était après le premier match et je n’étais pas là. Ça ne m’a pas fait mal, non, car des coaches qui partent, ça arrive et ça arrivera encore. Là où j’ai eu peur, c’est que je me suis dit: ‘La saison qui arrive va être difficile’. Parce que quand un coach part à la première journée, avec le recrutement et le coach qui veut ses joueurs, je savais que ça allait être compliqué. C’est là où ça m’a fait de la peine pour le club.
Florian Thauvin était aussi parti peu après, à Newcastle…
C’était très compliqué à gérer comme situation. Le club a mis du temps à s’en relever.
Alors, Bielsa, « El Loco » ou pas?
Oui, loco, mais ce n’est pas péjoratif. Car il aime ça. Il a ça dans le sang. Il mange, il dort, il boit football. Loco dans ce sens-là. Je me souviens aussi qu’après un match, il était assis tout seul à une table du McDo avec son ordi et le survêtement de l’OM. Ça, c’est un truc de fou.
Irez-vous le voir un jour en Argentine?
Je ne sais pas. Mais ce que j’ai appris de lui en tant qu’entraîneur et en tant qu’homme, je m’en servirai toujours. C’est indéniable.
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