Il est un peu plus de 22 heures à Rotterdam, ce dimanche 2 juillet 2000, et le stade De Kuip ne s’est toujours pas remis de ses émotions. Vingt minutes plus tôt, dans un France-Italie sous tension, Sylvain Wiltord a privé la Nazionale d’un titre européen à la dernière seconde, offrant aux 48.200 spectateurs un tour de montagnes russes, et aux siens une prolongation avec but en or.
« On entrevoyait plus la défaite qu’autre chose, et en une action on se retrouve dans cette prolongation avec une sensation bizarre, raconte Henri Emile, ancien intendant de l’équipe de France, qui a évolué au plus près des Bleus pendant 22 ans. D’un côté, vous voulez gagner le match, mais de l’autre il ne faut surtout pas prendre de but. C’est totalement différent d’une prolongation traditionnelle, c’est très particulier. »
Quand Pirès hésite à faire une passe à Zidane
Surtout, c’est une période où chaque équipe semble attendre l’erreur de l’autre. La première, la seule, est italienne. A la 103e minute de jeu, Fabio Cannavaro transmet maladroitement le ballon à Demetrio Albertini, qui ne parvient pas à le contrôler. A une trentaine de mètres du but adverse, sur le côté gauche, Robert Pirès s’empare de la gonfle.
« Je ne sais pas pourquoi, je peux faire une passe à Zizou qui est à trois mètres, mais je me dis que ce sera une passe de merde qui ne servira à rien, confiait dernièrement à RMC Sport l’ancien milieu de l’OM. En plus Zizou, techniquement c’était moyen (rires). » Alors Pirès, fraîchement entré en jeu, décide de mettre les jambes en route. « Je me suis revu dans les années où j’étais à Metz, sur le côté gauche », souffle-t-il. Le numéro 11 tricolore élimine Albertini d’un crochet, il déborde Cannavaro, et centre en retrait vers le point de penalty, où se trouve David Trezeguet, lui aussi remplaçant au coup d’envoi. « J’ai la chance que le ballon passe entre les jambes de Nesta », reconnait Pirès. La suite est un monument de l’histoire des Bleus.
« Un flash extraordinaire »
« C’est un flash extraordinaire, décrit Henri Emile. Je suis à côté de Roger (Lemerre, le sélectionneur) sur le banc de touche, et je vois très bien David. Il est de biais, sur la droite par rapport à nous, et je me dis que Toldo va être trop court. » Jean-Michel Larqué, qui commente la rencontre sur TF1 pour 20 millions de téléspectateurs avec son compère Thierry Roland, se dit surtout que le plus dur reste à faire. « Je la vois arriver, la demi-volée, et je pense qu’elle est compliquée pour Trezeguet. Parce que non seulement elle est pied gauche, et surtout le ballon est derrière lui, le centre n’est pas parfait, raconte-t-il deux décennies plus tard. Dans ces cas-là on a tendance à le toper, à l’écraser, la frappe ne part pas. Mais c’est Trezeguet à la réception. Et devant le but, on a beau dire, c’est un phénomène. »
Un pur avant-centre de 22 ans, qui a su se défaire du marquage de Iuliano et Maldini, et qui réussit le geste parfait. « La reprise est pure, bien en équilibre, c’est superbe », se régale Henri Emile. La frappe part tel un coup de fusil, pour finir sous la barre d’un Toldo impuissant. Deux ans après la Coupe du monde, les Bleus remportent l’Euro, et font basculer tout un peuple dans la folie.
Icon – Le but de Trezeguet
« La libération totale de tout le groupe »
« J’ai compris immédiatement, assure Emile. On le savait, on avait beaucoup parlé de ce but en or, c’était intégré. On l’avait déjà vécu à la Coupe du monde en 98 contre le Paraguay, c’est quelque chose qui habitait les joueurs. Ça a été très, très fort sur le moment. C’est la libération totale de tout le groupe. David court célébrer vers un coin du stade où il y a les femmes, c’est une communion avec les proches, tous les joueurs, toute l’équipe. »
Sur le bord de la pelouse, Roger Lemerre signe son plus beau sprint pour rejoindre son buteur providentiel. En hauteur, Jean-Michel Larqué s’égosille dans le micro, incapable pendant quelques secondes de prononcer une phrase audible. « Forcément, on est dans l’euphorie, sourit-il, même si avec Thierry on avait déjà reçu notre bâton de maréchal. On avait l’impression à l’époque que rien ne pouvait nous arriver de mal. Et pourtant l’Euro n’a pas été simple, entre le penalty manqué de Raul en quart, la main d’Abel Xavier en demie… » Henri Emile abonde: « C’est bizarre de le dire comme ça, mais pour nous, c’était presque normal de gagner cet Euro. C’était la continuité de la Coupe du monde. »
Icon – David Trezeguet
Quelle place dans l’histoire des Bleus?
Vingt ans après, une question demeure quant à cette action. Parmi les centaines de buts marqués dans l’histoire des Bleus, celui de Trezeguet est-il le plus beau? « Pour moi, l’exploit majeur de l’équipe de France, au-delà du doublé de Zidane, c’est le triplé de Platini à l’Euro 84 à Saint-Etienne (3-2 contre la Yougoslavie, ndlr), estime Larqué. Pied gauche, tête plongeante, pied droit. Chapeau l’artiste. » Mais l’un des trois buts de Platoche est-il esthétiquement plus abouti que celui du Franco-Argentin? « Beau, pas beau, c’est subjectif, balaye l’ancien Stéphanois. Celui de Trezeguet, ce qu’il faut saluer, c’est qu’il est très compliqué à mettre. »
Et qu’il est mis dans le match le plus mémorable. « On dit toujours que les buts sont beaux quand ils sont déterminants, coupe Henri Emile. Celui-là est déterminant, et en plus cette reprise de demi-volée… Je l’ai encore parfaitement en tête, ce qui n’est pas le cas de tous les buts en 22 ans avec l’équipe de France, je peux vous l’assurer. » Et ça, c’est comme une deuxième victoire.
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