Un retour en Chine bloqué fin janvier, un stage à Shanghaï annulé, un déplacement en Corée du Sud pour un match de Ligue des champions asiatique finalement reporté, un stage en Thaïlande pour une autre rencontre continentale, remportée cette fois… Alexandre Kerveillant, analyste vidéo de Bruno Genesio dans le club chinois du Beijing Guoan, a vécu deux mois mouvementés. Rentré en France, il est désormais dans l’expectative: comme la Ligue 1, la Chinese Super League, qui devait reprendre le 22 février, est suspendue jusqu’à nouvel ordre. « Comme il n’y avait pas de championnat et que nos matches de Ligue des champions en avril ont été reportés, nous sommes rentrés, joueurs et staff, auprès de nos familles. Nous sommes dans l’attente, dans l’incertitude, les dates de reprise prévues peuvent être repoussées à tout moment par rapport à la situation sanitaire. Nous sommes en constante adaptation. »
Quand la suspension de la Ligue 1 a été annoncée vendredi dernier, Kévin David et le FC Nantes s’apprêtaient à partir au vert pour recevoir Nîmes le lendemain. Tout le monde a été renvoyé chez lui. « C’est allé très vite. On ne prend pas trop conscience des choses au début. Tout s’arrête d’un coup, c’est surprenant. On essaie de respecter à la lettre les consignes, et on est en contact régulier avec des gens du club qui viennent aux nouvelles. » « La coupure a été un peu brutale, témoigne l’analyste rennais Rudy Cuni. Tant qu’il y aura un confinement, on restera chez nous. On a tous un point individuel très régulier avec le docteur du club: on prend notre température, on doit lui signaler le moindre signe. Le club prend la situation très au sérieux. »
L’occasion de souffler en famille
Dans leur rythme de travail habituel, les analystes vidéo décrochent peu. « On est tellement dans la recherche de choses, dans la passion, que pendant nos temps de repos, comme les lendemains de matchs, on réfléchit toujours, on anticipe, on prépare la semaine de chez nous, expose Kévin David. On a un rythme assez soutenu. » Cette pause impromptue offre alors une respiration familiale bienvenue. « On a un rythme au quotidien très élevé qui ne nous permet pas de profiter pleinement de nos proches, donc ça fait du bien de passer plus de temps à la maison », apprécie le Rennais Rudy Cuni. « Ça fait du bien de se retrouver en famille, de faire un peu de sport, de lire, acquiesce Alexandre Kerveillant. Et, parfois, de prendre le temps de ne rien faire, aussi. »
Quand il repartira pour la Chine, à huit mille kilomètres de la France, l’ancien membre du staff de Leonardo Jardim et Thierry Henry à Monaco sait qu’il ne reverra pas sa famille au moins jusqu’en décembre. Alors, il profite… même si le compétiteur en lui s’impatiente déjà. « La préparation du match est très stimulante: l’analyse approfondie de l’adversaire, être en constante recherche de comment le mettre en difficulté pour gagner le match… Dans notre métier, nous sommes toujours alimentés par des inattendus, nous devons toujours nous adapter, il y a toujours des choses nouvelles, un coup de rush par rapport à une demande du coach… C’est une chose qui me manque au quotidien. » « C’est complètement déstabilisant, on perd les repères, sourit le Nantais Kévin David. Les premiers jours, on est chez nous, on a du boulot, mais on se demande un peu ce qu’on va faire. On est perturbé. On s’aperçoit vite que beaucoup de choses nous manquent: les relations humaines, comme dans tout travail, les échanges, la compétition du week-end, le stress du match, la pression qui monte… C’est ça qui nous fait avancer, ce côté compétiteur, et là on se retrouve sans… Donc il faut se challenger au quotidien pour avancer. » « Il y a eu un mini-vide pendant quelques jours, mais on a très vite rebasculé dans le travail », conclut Rudy Cuni.
Du temps pour mener des projets de fond
Même confinés chez eux, les analystes vidéo ont accès à leurs outils habituels (SportsCode, Piero, InStat, WyScout…). Et même à distance, les échanges restent permanents avec le staff. « J’ai deux assistants chinois, nous nous échangeons des messages vocaux, on s’appelle, confie Alexandre Kerveillant. Et nous avançons sur des thèmes de travail que j’ai prédéfinis. L’inconvénient, c’est qu’il nous est difficile de nous préparer dans ce contexte très particulier. Nous n’avons pas encore commencé le championnat, toutes les équipes chinoises vivent une situation compliquée. Il est pour nous difficile d’analyser nos adversaires directs puisque la majorité des équipes n’ont pas encore joué. » « Pour un analyste vidéo, le gros du travail, c’est analyser les entraînements, les adversaires, les matches, et échanger avec le staff là-dessus pour apporter notre appui, détaille Kévin David. Là, on n’a pas toute cette matière. »
Mais pour une fois, ils disposent d’un bien rare: le temps, pour explorer d’autres thématiques. Rattraper son retard sur les championnats étrangers et les confrontations de Champions League. Questionner ses méthodes. « On analyse notre processus de travail, poursuit Kévin David. On fait un bilan de notre façon de travailler, on voit comment optimiser la dynamique de travail pour la rendre plus performante et être encore plus réactif sur les demandes des coaches. » Cela permet aussi d’être plus disponible pour appuyer la cellule recrutement, et dresser un état des lieux complet après vingt-huit journées. « On a mis à jour toutes nos bases de données sur les critères que l’on observe au cours de la saison, révèle Rudy Cuni. Cela nous permet, en lien avec l’entraîneur, de faire des bilans plus fournis qu’habituellement, de prendre du recul. »
L’analyste rennais se focalise aussi sur les grandes orientations du jeu en Ligue 1 cette saison. « On recentre les priorités, cela permet de faire autre chose, tout aussi intéressant, qui va nous servir pour le reste de la saison. C’est plaisant. » En ce moment, Alexandre Kerveillant décortique lui le jeu du Liverpool de Klopp, du Manchester City de Guardiola et de l’Inter de Conte. « On étudie différentes phases de jeu des meilleurs équipes d’Europe comme les sorties de balle, les phases offensives, défensives, les coups de pied arrêtés, les touches, pour dégager certaines tendances et en tirer les choses intéressantes. Sur une période habituelle, il est très difficile de mener ce genre de travail. »
Et les joueurs, dans tout ça? « Ils ont surtout un suivi avec les préparateurs physiques, mais ils ont une plateforme sur laquelle ils peuvent revoir leurs matchs sur le plan collectif et individuel, précise Kévin David. On est là s’ils ont des demandes spécifiques, on est bien sûr disponibles pour eux. » Objectif: être prêt pour la reprise du jeu, quel que soit le moment, quel que soit l’adversaire.
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